Littérature française

David Diop

Où s’adosse le ciel

✒ Nicolas Mouton

(Librairie Le Presse papier, Argenteuil)

Si dès son deuxième roman, Frère d’âme, David Diop s’est affirmé comme un écrivain de premier plan, il ne cesse de produire chaque fois une œuvre plus forte et différente, comme s’il brûlait ses vaisseaux. Où s’adosse le ciel éblouit tant par la beauté de sa langue que par son ambition : un grand livre.

L’homme qui s’avance vers nous revient de La Mecque et n’a pour richesses que son habit de pureté et sa mémoire. Il s’appelle Bilal Seck, a 37 ans quand commence ce récit, en 1893. Mais il pourrait aussi bien avoir plusieurs siècles car il porte en lui le chant des origines dont il est le soixante-douzième maillon. Il ne doit pas en perdre ni en changer un mot, sa quête étant de trouver le soixante-treizième à qui le transmettre. Ce griot qui psalmodie cette bibliothèque intérieure a fait le voyage avec Ierim Tiav, son maître et ami de toute une vie. Mais rencontrant une épidémie de choléra, celui-ci l’abandonne en chemin, craignant ce « sang impur ». Au lazaret de Djeddah, un médecin français découvre que le sang de Bilal l’immunise contre la maladie. Celui-ci reprend alors son odyssée qui doit le mener à Saint-Louis du Sénégal, sa terre natale. À ce grand roman d’aventures va se mêler une autre odyssée, celle du chant des origines, au temps de l’Égypte des Ptolémée. Ounifer, grand prête d’Osiris, entraîne ses fidèles, les sacrilèges, à fuir vers l’extrême-Occident, là « où s’adosse le ciel ». En réalité, la quête de cette terre promise n’a qu’un but : trouver les trésors du temple d’Osiris et asseoir son pouvoir. Le roman passe d’une manière fascinante d’un temps à l’autre, du récit à la légende, foisonnant, érudit, parcours initiatique allant de l’obscurité vers la sagesse. L’homme est le prophète de sa propre destinée. « L’essentiel était que les subalternes acceptent l’inégalité sans réfléchir et la trouve si naturelle qu’ils rêvent d’en bénéficier eux-mêmes plutôt que l’abolir. » Ce conte philosophique, à la manière des Lumières, nous parle surtout d’aujourd’hui.

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