Littérature française

Sylvie Le Bihan

L'Ami Louis

✒ Nicolas Mouton

(Librairie Le Presse papier, Argenteuil)

Après Les Sacrifiés, retraçant dans l’Espagne des années 1930 la destinée de Federico García Lorca, Sylvie Le Bihan, pour son deuxième roman chez Denoël, remet en lumière l’auteur du Sang noir et du Jeu de patience : Louis Guilloux, grand auteur par trop négligé.

Il faut d’emblée le clamer bien haut : L’Ami Louis n’est pas une biographie déguisée mais bien un vrai roman, avec son style, ses personnages, son intrigue merveilleusement construite qui nous mène en quelques bonds au bout de ses presque 400 pages ! Et ce roman tire justement toute sa liberté d’invention de la précision et de la justesse de son érudition, qui n’est jamais un frein mais un élan vers la lecture. Les familiers de l’œuvre de Louis Guilloux le retrouveront entièrement et ceux qui le découvriront seront bienheureux. Élisabeth est une jeune femme en rupture depuis des années avec sa famille et qui, depuis 1973, s’est exilée dans une Angleterre qui, comme elle, s’enlise dans une crise. La première chanson citée dès la première page, Message in a bottle, annonce clairement que ce récit sera une quête : une bouteille à la mer. Un soir d’octobre 1976, elle rencontre Bernard Pivot qui l’embauche comme consultante pour Apostrophes. Outre la littérature étrangère, elle devra réaliser quelques missions impossibles : convaincre Albert Cohen, faire venir Bukowski à Paris ou préparer une spéciale Camus. Autant de moments qui jouent sur nos mémoires et rendent la fiction savoureuse. C’est René Char qui la mettra sur la piste de Guilloux, après lui avoir fait découvrir La Maison du peuple. Le roman prend alors la forme d’une enquête amicale à travers une époque bénie de la littérature sur laquelle régnaient Gide, Camus, Malraux, Aragon… Guilloux, généreux et intransigeant, chante la noblesse des gens modestes, la cruauté des guerres, les égarements de la politique et conduit la narratrice à reconsidérer son histoire familiale. Ce beau roman refermé, chacun voudra se plonger dans Le Jeu de patience ou l’indispensable Apostrophes de 1978.

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