Littérature française

Patrick Deville

Fenua

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Chronique de Nicolas Mouton

Librairie Le Presse papier (Argenteuil)

Patrick Deville ajoute un huitième roman au « Projet Abracadabra », fascinant voyage autour du monde sondé par la littérature. Cette fois-ci, il pose sa plume en Polynésie, d’îles en archipels. L’ensemble de ces terres émergées, plus petit que la Corse, c’est le Fenua, c’est-à-dire « le pays ».

Sur la carte de Tahiti qui est le seuil du livre, on rêve longtemps. Les souvenirs de romans, de films exotiques ou de récits d’expéditions chatouillent l’esprit. Mais ce n’est pas sur ce courant paresseux que nous entraîne Patrick Deville. Écrivain voyageant pour écrire, et non voyageur écrivant, il excelle dans ce qu’il a lui-même nommé des « romans sans fiction ». Il contemple, rencontre, se souvient, marche et lit. Voilà toute l’intrigue qui cependant nous saisit dès les premières lignes par l’enchantement d’un style noble et limpide, et nous interroge sur les frontières de la prose et de la poésie. Tout récit n’est-il pas avant tout un « chant » et ne faudrait-il pas envisager « Abracadabra » comme étant destiné à en comporter douze ? Quoi qu’il en soit, l’auteur est avant tout un relecteur. Voyageant avec une bibliothèque choisie, il aborde l’Histoire de Tahiti par des lectures, du XVIIIe siècle à nos jours, et nous emporte dans sa merveilleuse érudition qui nous permet de redécouvrir Bougainville, Melville, Stevenson, Elsa Triolet, Segalen… Il entre dans les textes comme dans les paysages et, littéralement, « lit » l’histoire de l’île jusqu’à s’y projeter, mais sans intervenir. Ces vivants fantômes, dont la figure centrale est Paul Gauguin, nous révèlent quelque chose de perdu mais toujours présent, invisible à l’œil nu. Il faut « se faire voyant », écrivait Rimbaud, et en ce sens les romans de Patrick Deville rejoignent le poème. Indépendants, ils dialoguent librement entre eux, comme lorsqu’il évoque le souvenir du fils l’accompagnant dans Amazonia. S’il participe activement à ce voyage, le lecteur familier se grisera de bien des échos.