Littérature française

Jean-Luc Seigle

L'Enfant travesti

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Chronique de Nicolas Mouton

Librairie Le Presse papier (Argenteuil)

Le cœur « déraisonnable » de Jean-Luc Seigle s’est arrêté en mars 2020, alors qu’il relisait le manuscrit de L’Enfant travesti, premier tome d’une trilogie : La Beauté des femmes. Il paraît aujourd’hui : c’est un chant majeur.

Sur sa table de travail, Jean-Luc Seigle avait son exemplaire fétiche d’Anna Karénine, le Manifeste du Parti Communiste et la reproduction d’un tableau de Soutine, La Petite Fille à la poupée, dont il ne s’est jamais dépris. « Les objets font écho à la mémoire : ils sont absences et fragments de souvenirs, grâce auxquels nous pouvons jouer avec le récit de notre vie. » L’enjeu est ici de mettre en œuvre le roman d’une conquête, celle d’un petit garçon que la folie affective de sa mère habille et élève comme une fille, aux prises avec les silences des adultes et qui va renaître à lui-même. Monde de femmes, hommes fantômes, les secousses de la grande Histoire se mêlent aux destins individuels, dont les effets se propagent sur les générations suivantes. Jean-Luc Seigle alterne les époques d’une manière passionnante : il a l’art du récit et la noblesse des mots. Si le titre de son roman est d’abord à prendre au pied de la lettre, il ne peut que nous évoquer un thème cher au XVIIIe siècle (Marivaux). À quelle vérité l’inversion des costumes va-t-elle nous faire toucher ? La métaphore des étoffes court tout le livre. L’enfant démêle de ses doigts fins les fils à broder, comme il démêle le fil de l’histoire familiale. Son costume est fait de pièces éparses, grises et colorées qu’il interprète et recoud avec son regard d’adulte. Un roman ne sera jamais une autobiographie : sa dimension universelle tient à ce qu’il « travestit » la réalité pour mieux la révéler. Reconnaissant et bouleversé, le lecteur ne peut que chérir ce livre dont Jean-Luc Seigle confesse qu’il fut « écrit jusqu’à la maladie, jusqu’à ce que mon cerveau et mon corps me lâchent ».