Littérature française

Olivier Rolin

Jusqu’à ce que mort s’ensuive

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Chronique de Nicolas Mouton

Librairie Le Presse papier (Argenteuil)

D’une page des Misérables, l’auteur de Tigre de papier tire une enquête au souffle romanesque puissant. Olivier Rolin se plonge dans Hugo, médite sur les passions révolutionnaires et regarde vers sa jeunesse.

Entre deux coups de pistolet, tout un roman est tendu. Nous sommes le 19 octobre 1852, non loin de Windsor, et le duel oppose deux Français, révolutionnaires exilés, qui se vouent une sourde haine : Frédéric Cournet, grand costaud, ancien officier de marine, et Emmanuel Barthélémy, ouvrier mécanicien, petit trapu. Opposés de physiques comme de caractères, ils tenaient en 1848 deux barricades à leur image : deux conceptions de la Révolution. Hugo fait allusion à leur aventure quand il reprend l’écriture des Misères qui prennent alors le titre de Misérables. Le Pair de France est devenu le proscrit et reconsidère ses choix. Dans un style absolument admirable, digne des grands romans du XIXe siècle, Olivier Rolin reconstitue toute l’histoire des deux ennemis, du Paris de Balzac au Londres de Dickens, où la puanteur et la poudre côtoient ce qu’il y a de plus noble dans l’homme. Tout l’art de Rolin est de reconstituer, d’être fidèle à la vérité historique, tout en étant par le style, l’ironie, le souffle absolument fidèle au romancier (il est assez proche de ce point de vue du Aragon de La Semaine sainte). De la lecture naît l’écriture : il déchiffre la mémoire de Paris griffée dans la pierre, découvre des plaques, des noms. L’oubli témoigne. On songe au roman sur la Commune de Michèle Audin : les temps se mêlent, 1848, 1861, 1944, 2015, en d’habiles digressions. C’est exaltant et résonne avec d’autres titres, comme Vider les lieux. Nous sommes faits de nos lectures autant que de nos amours et des rues que nous avons hantées. Que valent nos révoltes quand les étagères sont nues et qu’il faut quitter la place ? Olivier Rolin touche autant qu’il émerveille. L’un sera tué d’une balle, l’autre sera pendu. Un très grand moment de littérature, à lire jusqu’à ce que mort s’ensuive !