Sciences humaines

Philippe Forest

Shakespeare

✒ Nicolas Mouton

(Librairie Le Presse papier, Argenteuil)

La collection « D’/après », chez Flammarion, propose à un écrivain de revisiter à sa fantaisie un artiste sur un mode où le savoir se mêle au plaisir. Relisant Shakespeare, Philippe Forest réinvente, dans une langue éblouissante, celui qui fut « quelqu’un, tout le monde et puis personne ».

« C’est son histoire que je raconte. Pas la mienne. » Cet incipit fait le lien avec le livre précédent, Et personne ne sait, roman aux allures de conte, où se distillait une amère liqueur d’enfance : « pour de vrai et pour de faux ». Ces deux textes sont eux-mêmes le poignant écho du grand roman de 2019, Je reste roi de mes chagrins. Nul besoin cependant d’être familier de l’auteur ni de Shakespeare pour goûter cette évocation du « gentil William », tant la prose, souple et sonore de Philippe Forest est belle et rend limpides les réflexions les plus fines. Ni essai, ni biographie, c’est à une représentation à laquelle nous sommes conviés, où se mêlent le réel et l’imaginaire, la scène et la salle, le théâtre et le monde, le spectre de Shakespeare et les souvenirs de l’auteur qui tisse son discours d’allusions, de citations cachées (que l’on reconnaît), prouvant que nous sommes autant faits de Shakespeare que Shakespeare est fait de nous. De lui on ne sait rien : pas de manuscrit, un portrait fort douteux et le flou le plus grand sur le nombre et la paternité de ses pièces. Peut-être tout récit de sa vie ne peut-il être qu’une fiction ? « Je ne suis pas qui je suis », dit Othello. Alors Forest interroge d’autres auteurs : Montaigne, Molière, Cervantès, Gauthier, Scarron et surtout Joyce, en de passionnantes pages. Il lui faut faire « comme si » : entre les morceaux manquant de la mosaïque, on imagine et ainsi se crée un mythe. Comment aborder l’œuvre ? Qu’est-ce que le lieu théâtral ? La mort peut-elle s’apprivoiser ? Autant d’interrogations profondes en paroles heureuses. Ce Shakespeare, superbe éloge de la littérature, force à reconsidérer toujours ce que l’on croyait acquis ou admis.

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