Littérature française

Éric Reinhardt

Le Système Victoria

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photo libraire

Chronique de Dominique Paschal

Pigiste ()

Éric Reinhardt revient en force. Depuis le très réussi Cendrillon, on attendait son nouveau roman. Le voilà avec Le Système Victoria, où sa plume sarcastique ne laisse aucun répit au lecteur. On croit lire un roman d’amour mais la comédie du pouvoir n’est pas loin !


David Kolski, directeur de chantier, est la proie d’une très forte pression pour mener à bien la construction d’une tour de plus de cent étages au cœur du quartier de La Défense à Paris. La forme de cette construction est révolutionnaire, elle dominera Paris tel un éclair au-dessus de la capitale. Mais les entrepreneurs ont pris du retard, et les investisseurs agitent la menace des pénalités, tandis que les acheteurs étrangers souhaitent une mise en service de ce bâtiment dans les délais impartis pour rentabiliser leur mise de fonds. Pendant l’érection de la structure de ce bâtiment, la vie de David est brusquement bouleversée par sa rencontre avec une femme très élégante dans un centre commercial. Impatiente, très absorbée par la manipulation de son Blackberry, elle se tient devant une vitrine lorsque leurs regards se croisent. Le coup de foudre s’abat sur David. Au lieu de sortir de cette galerie marchande avec le cadeau d’anniversaire de sa fille, il entreprend de suivre l’énigmatique inconnue. David part au bout de ses rêves d’inconnu laissant derrière lui la vie paisible construite avec Sylvie et ses enfants. Le pressentiment que cette rencontre, si exaltante soit-elle, est un prélude mortel, affleure au cerveau de David. Mais la tentation de vivre un enchantement prime sur toute idée raisonnable. Un an après cette fête des corps, on retrouve David caché dans la chambre d’un hôtel de la Creuse. Il entreprend de raconter à la première personne l’aventure vécue avec Victoria, la belle inconnue. Son récit retrace son analyse, son émotion, ses souvenirs, ses réflexions face à sa vie chamboulée, son idéalisme de quatre sous. Il revoit le film de leur histoire avec le recul d’une année en accéléré. Le mensonge a été un compagnon journalier, les sms cachés, vite effacés nourrissaient les journées d’attente. Un galop éperdu a entrainé les amants de Londres à Paris, de chambres d’hôtels chics en palaces, les emportant dans une addiction sexuelle où les jeux et les fantasmes ne cessaient de gagner en intensité dans le seul dessein d’entretenir le sentiment d’interdit sous le signe duquel était placée leur liaison. Cette Victoria, qui est d’abord apparue si racée au narrateur, s’avère en réalité une redoutable prédatrice. Elle est cadre supérieure et mène avec brio sa carrière au poste de DRH Monde d’une entreprise internationale. Maniant le chaud et le froid pour faire avaler aux syndicats les décisions de la direction, les licenciements, les ventes de sociétés, Victoria mène sa trajectoire sans se préoccuper des dommages collatéraux. Elle ne semble pas davantage avoir conscience du travail de David, qui manie l’humain dans toute sa réalité lors de ses réunions de chantier. Tout les oppose et c’est ce tout qui les attire. Mais de graves événements transforment la romance passionnée en poursuite policière. Éric Reinhardt réussit une fois encore à dépeindre un village mondial où les enjeux économiques se jouent des fourmis humaines. Regard à la fois sarcastique et mélancolique d’un écrivain qui porte sur nos sociétés suspendues au profit et à la vitesse un regard extrêmement concerné.

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