Littérature étrangère

Michael Cunningham

Snow Queen

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photo libraire

Chronique de Aurélie Paschal

Pigiste ()

Michael Cunningham, célèbre auteur de La maison du bout du monde (Belfond), revient avec une fable enneigée. Un changement étonnant et intriguant. Un livre déroutant et un auteur qui nous surprend à chaque nouveau livre.

Barrett Meeks est un jeune trentenaire blasé par les relations amoureuses. Quelques jours après avoir été quitté – par un simple texto lui annonçant la fin de cette relation avec un bel Adonis –, Barrett marche dans Central Park, quand il voit soudainement le ciel changer et une lueur l’éclairer. Qu’est-ce que cela ? Il ne peut pas y avoir d’aurore boréale au-dessus de Central Park. Ça y ressemblait pourtant furieusement. Barrett vit avec Beth et Tyler, son grand frère. Ce dernier est un musicien raté qui essaie de sortir de la drogue tout en veillant sur sa compagne atteinte d’un cancer et sur son petit frère. Ils vivent dans un quartier miteux de New York, mais, comme le dit Tyler, la neige métamorphose la laideur en beauté. Son épais manteau blanc cache les trottoirs souillés. Le temps semble suspendu. Puis viendra le moment où cette même neige enchanteresse rendra le quartier plus laid encore. Elle se transformera bientôt en flaques fangeuses. Il en est de même pour cette famille. Leur tristesse, la morosité de leur vie, sont comme suspendues durant cette période. La masse blanche aurait-elle la vertu d’étouffer les mauvais sentiments et l’échec ? Comme il l’indique en exergue et dans le titre-même du roman, Michael Cunningham s’inspire du conte d’Andersen « La reine des neiges ». Par petites touches, il nous fait pénétrer dans ce conte. Par exemple, Tyler reçoit un flocon de neige dans l’œil qui modifie sa vue et sa perception du monde. Les personnages sont touchants dans leurs échecs et leurs désillusions. Michael Cunningham ouvre une nouvelle fois les portes de son univers littéraire. En effet, dans Les heures (10/18), il nous plongeait dans le monde de Virginia Woolf.
Aurélie Paschal Librairie Prado paradis (Marseille)

 

Prix Pulitzer en 1999 avec The Hours (10/18), Michael Cunningham revient avec Snow Queen, son sixième roman, qui emprunte son titre à un conte d’Hans Christian Andersen.
Dans le monde de la fable, rode l’apparition ou la vision de ce qui peut s’apparenter à une aurore boréale, une manifestation céleste au-dessus de Central Park. Une lueur dans la nuit qui laisse place à un peu de rêve dans ce huis clos où le devenir est englué. Bien que promis à un bel avenir après Yale, Barrett vit chez son frère Tyler et vend des vêtements dans une boutique vintage. Nous sommes à New York dans les années 2000, sous l’ère Bush, « le pire président de l’Histoire des États-Unis ». Beth, la compagne de Tyler, souffre d’un cancer. C’est l’hiver. Il neige. L’appartement est ancien, miteux, habité par les couches successives de peintures et moquettes de ses prédécesseurs. Mais aussi par un petit capharnaüm d’objets qui l’encombre. Fragiles, sensibles, un peu loosers dans l’âme, Barrett et Tyler cherchent leur chemin. Par la musique notamment, et un peu de cocaïne, pour s’extraire de la dureté de la vie à laquelle Tyler fait face : celle de perdre celle qu’il aime. En campant son intrigue dans Bushwich, un quartier populaire de Brooklyn où se côtoyaient le crime, la prostitution et les trafics de toutes natures, Cunningham met en relief cette maladie contre laquelle Beth ne cesse de se battre avec ses rémissions, ses rechutes et la vie dissolue de ces deux frères. Tyler le musicien qui peine à composer la chanson de mariage qu’il souhaite offrir à sa future femme mourante. Et Barrett, charmé par les hommes, sans le sou et sans toit, qui squatte leur appartement. De ce marasme social et économique, il émane toutefois de l’amour. Celui qui unit ce trio avec ses bleus au corps et au cœur. Ceux de l’enfance subis ou dont ils se sont affranchis.
Cunningham pointe également les déceptions des immigrés en galère, Guantanamo, l’imminente élection présidentielle, la vieillesse et les efforts déployés pour rendre cette étape plus douce, les petits arrangements entre amis… le tout enveloppé d’une grande tendresse. Celle du lien indéfectible entre deux frères. Celle aussi de la bande (Liz, Andrew, etc.) et de la vie insufflée par celle pour qui le temps est compté. La mort, comme dans de précédents titres de Cunningham, rode. L’homosexualité – abordée dans La Maison du bout du monde – aussi. Et les souvenirs, ceux que l’on garde, qui nous constituent. Et ceux dont on finit par se délester pour avancer. À travers ces différents personnages qui attendent de prendre leur envol, des choix de vie sont questionnés. Au cœur du quotidien des deux frères, quatre années passent au fil des pages. Quatre années au cours desquelles Cunningham nous place en position d’observateur de ce petit théâtre où les protagonistes se débattent face aux aléas de la vie. Loin du conte de fées, ce livre est une plongée dans les âpretés d’un quotidien abrasif, à l’heure où l’Amérique s’apprêtait à célébrer la victoire d’Obama.
Jeanne Aléos Collaboratrice de La Grande Table

 

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