Littérature française

Philippe Jaccottet

Œuvres

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photo libraire

Chronique de Olivier Renault

Librairie La Petite lumière (Paris)

Entrer dans « la Pléiade » de son vivant est un fait si rare qu’il mérite d’être célébré. Jaccottet, éditeur, grand traducteur, mais surtout poète, narrateur, critique est l’un de ces heureux élus. Ce volume, dont il a choisi les textes, rend justice à la variété des genres dans lesquels il excelle.

 

À l’écart du monde, un écrivain veille. À l’écart, vraiment ? Loin de l’agitation, de l’affairisme, des excitations publicitaires, du publi-reportage permanent. Vanitas vanitatum. « Moi, avec mes arbres, mes fleurs, pas assez ignorant pour être naïf, trop ignorant pour passer au parti des savants, des linguistes, avec mes craintes, mes lâchetés, mon peu de vie, de sang, de paroles. » Un moraliste, bien sûr, comme tous ceux qui écrivent en profondeur, mais qui n’a rien d’un résigné. Aucun renoncement chez Jaccottet, mais au contraire l’avancée courageuse, obstinée, en quête de lumière dans l’obscurité des signes. Il sait porter attention aux choses les plus proches, les plus apparemment anodines, telle cette fleur, dite « centranthe » ou « valériane rouge » pour voir, sous son vieillissement inéluctable, sa structure, ses variations de couleurs, sa transformation pour perpétuer la vie : « Légèreté de l’avenir. Laisser tomber ainsi tout éclat, toute couleur rose, pour faire place à ce filigrane. (…) La centranthe brûle un instant puis éparpille ses fertiles cendres argentées. » Suit une citation de Plotin. La culture est au cœur de cette nature.
Jaccottet traque la lumière, comme Nabokov chassait les papillons. Il lui faut en rendre toutes les qualités, toutes les nuances. « Dès le matin la lumière parle et je l’écoute, sans plus me demander si je fais bien ou mal, si je ne suis pas ridicule. » La lumière est une voix, les couleurs des sons, appelant au « bonheur de la clarté » dans une métamorphose perpétuelle des fragrances et des matières : « Ce soir, lumière dorée dans l’air froid. » « L’ombre qui est dans la lumière » « c’est de la poussière allumée » ; « Vérité, non-vérité / brillent, cendre parfumée » ; « La poussière, la fumée rose, puis mauve, du soir. » « Le soir, tous les arbres, une brassée de rose, prête au feu. / Au matin, leurs branches encore nues brillent d’une eau céleste. Ils multiplient la lumière. Fagots lumineux ? »
Au fond, nous assistons à un ballet de transmutations, dans une euphorie douce, parce qu’elle se sait fragile, n’affirmant autre chose que l’essai de certains mots pour rendre compte de l’expérience de la lumière et des couleurs qu’elle enflamme. Toute l’œuvre de Jaccottet ressortit de cette tentative, dans l’humilité qui consiste à s’attaquer aux plus grands comme au plus mystérieux et évanescent. Comme traducteur, Jaccottet a fait découvrir Musil, nous a donné la plus belle traduction de L’Odyssée et a fait entrer Hölderlin en « Pléiade ». Il a aussi traduit Góngora, Ungaretti, et a appris le russe pour traduite Mandelstam. Que de cadeaux, et que de langues : Jaccottet est l’apôtre aux langues de feu, une Pentecôte discrète.
À l’écart ? Le poète recentre plutôt les choses, au cœur du tourbillon de saveurs qu’il anime, entre la nature, l’évanescence des êtres et l’éternité des classiques. Dont il fait partie.