Essais

Lilian Mathieu

Columbo, la lutte des classes ce soir à la télé

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photo libraire

Chronique de Dominique Paschal

Pigiste ()

Philippe Corcuff et Lilian Mathieu se saisissent des genres populaires que sont les polars et les séries télévisées avec des outils sociologiques et philosophiques pour éclairer de manière critique la question du sens.

« Ce monde ne sent pas très bon mais c’est celui où l’on vit », écrivait Raymond Chandler en 1944. La portée philosophique de cette remarque pose des questions au sens de notre existence et « aux réactions morales vis-à-vis des aléas et des déboires de la quête de sens ». La portée sociologique-critique de ces interrogations se situe dans des sociétés « où l’on vit » au milieu des inégalités et de la corruption. Le roman noir américain, instrument de critique sociale, met l’accent sur les zones noires et grises de nos vies. En grand connaisseur de ce genre littéraire, Philippe Corcuff ausculte l’extrême scepticisme de Robin Cook et la quête d’absolu de James Lee Burke. Le désenchantement de Goodis et les fragilités existentielles des anti-héros de Dennis Lehane traduisent une virulente interpellation de la dureté du capitalisme. L’affrontement de classes peut aussi s’inviter dans une série télévisée policière. Le sociologue Lilian Mathieu pratique une séance thérapeutique de Columbo, série américaine plébiscitée par les Français. Rappelez-vous ce rendez-vous hebdomadaire avec un policier en vieil imperméable fripé conduisant une 403 décapotable hors d’âge, qui était chargé, à chaque nouvel épisode, d’enquêter sur un meurtre dans la haute société californienne. L’intrigue à énigme a la particularité de démasquer l’assassin dès la première image. En général il est riche, intelligent et sûr de lui. Sauf que le policier minable qu’il croit avoir berné se révèle trop curieux et finit par découvrir la faille. Quelle revanche sociale ! En effet, les rapports entre le modeste lieutenant et les puissants basculent toujours en faveur de Columbo. Le renversement de la domination donne une lecture « bourdieusienne » de la série. C’est jubilatoire. Ces ressources critiques offrent de « penser pour soi-même », mais aussi de « penser contre soi-même ».

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