Littérature française

Fabio Viscogliosi

Mont Blanc

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photo libraire

Chronique de Géraldine Huchet

Pigiste ()

Mercredi 24 mars 1999. Un camion prend feu dans le tunnel du mont Blanc, provoquant la mort de trente-neuf personnes. Nul n’a oublié cet énorme incendie et le procès kafkaïen qui a suivi. En cette rentrée, deux romanciers s’emparent de ce fait divers pour le tirer vers la fiction ou les souvenirs personnels.

Disons-le d’emblée, chacun à leur façon, les deux auteurs se sortent très bien de cet exercice risqué. Ainsi, pour son premier roman, Éric Sommier centre sa fiction sur le personnage (réel) de Pierlucio, surnommé Spadino, le patrouilleur à moto qui aurait sauvé dix personnes en les embarquant sur sa BMW ou en leur indiquant la direction de la sortie, avant de mourir calciné. « Trois cent cinquante ouvriers, quatre millions six cent mille heures de travail, sept cent onze tonnes d’explosifs et cinq cent cinquante-cinq mille mètres cubes de roches évacués avaient été nécessaires pour parvenir à ce résultat. Et maintenant, presque au même endroit, les écrans vides et noirs s’ouvraient sur le néant. » À travers de courts chapitres, le romancier retranscrit le déroulement de cette journée funeste, prêtant aux uns et aux autres dialogues et sentiments plus que réalistes. Mais, pour permettre au lecteur de respirer, il offre des parenthèses purement romanesques en réinventant la vie quotidienne de cet homme devenu héros malgré lui, alors que rien ne l’y prédisposait. Pourquoi cet homme si discret a-t-il fait le sacrifice de sa vie en sauvant celle des autres ? Le romancier imagine alors la jeunesse de cet Italien passionné de fleurs et de motos, brièvement marié à une sculptrice partie un triste matin. Et c’est justement parce qu’on ne sait presque rien de cet homme que le romancier peut inventer sa vie et, par là même, lui rendre un vibrant hommage.

Tout autre est la démarche de Fabio Viscogliosi, plus intime, même s’il s’autorise également des échappées vers l’imaginaire. Et pour cause : lui a été touché directement par la catastrophe puisque ses parents ont péri dans l’incendie. Il s’agit de trouver les mots justes pour évoquer un drame auquel on n’est jamais préparé, s’avouer orphelin, traquer les coïncidences pour mieux s’en défaire. Pourquoi, au moment même où ses parents mouraient, leur fils achetait-il Autobahn (Autoroute), l’album de Kraftwerk ? L’auteur s’interroge, entreprend de vider la maison familiale, se réfugie dans les livres d’alpinisme : « Avouons-le, le mont Blanc me poursuit partout. Je ne voudrais garder aucune rancœur contre cette montagne à laquelle ma vie est liée désormais. » Dans sa quête, il convoque Borges ou Hitchcock, se refuse au désespoir malgré une mélancolie tenace, et essaie tant bien que mal de vaincre sa colère contre cette montagne. Les dernières pages du livre sont à ce titre admirables : au bout du tunnel, enfin, la lumière.