Littérature française

Maryline Desbiolles

Il n'y aura pas de sang versé

illustration

Chronique de Alexandra Villon

Librairie La Madeleine (Lyon)

Après Charbons ardents, Maryline Desbiolles s’intéresse dans Il n’y aura pas de sang versé à un fait de l’histoire sociale lyonnaise quasiment effacé des mémoires, caché dans l’ombre de la Révolte des Canuts : la première grève de femmes de l’Histoire, en 1869, menée par les ouvrières « ovalistes ».

Elles sont quatre à s’avancer sur la piste, et dans les gradins des centaines : les « ovalistes ». Toia est piémontaise ; elle a quinze ans et vient tout juste d’avoir ses règles. Rosalie, la boiteuse, vient de Nyons dans la Drôme. Marie vient de Quincy, en Haute-Savoie, où elle travaillait avec son père dans les alpages, là où un coup de faucille lui a tranché la main. Clémence, quant à elle, vit à Lyon, là où toutes arrivent à leur tour pour travailler dans les usines de soie aux ateliers de moulinage. Leurs parcours, comme les quatre parties d’une course de relais que l’autrice met en scène en mimant la forme ovale du moulin, vont mener ces ovalistes, ces bonnes filles sans qualité autre que la forme du lieu où elles travaillent, sur une ligne d’arrivée qui signe le début d’une révolte de taille : la première grève des femmes en 1869. Leurs revendications sont simples : l’augmentation des salaires, à rehausser à l’égale des hommes, la diminution du temps de travail journalier de 12h à 10h et la possibilité – peut-être la plus importante et la plus symbolique – de ne plus avoir à partager un lit et un dortoir avec les autres, mais d’avoir un lieu, une chambre à soi, sans que ne soit soupçonnée leur moralité. Leurs exigences, parce que ces femmes n’étaient rien, ne sachant ni lire ni écrire, ne furent que très peu écoutées. Maryline Desbiolles, en redonnant voix à ces ovalistes qui n’étaient pas entendues parce qu’elles n’avaient pas les mots, s’attache justement à l’importance de leur signification, de leur étymologie, aux images qu’ils convoquent. Son roman s’inscrit dans la boucle ovale de cette course de femmes qui, dépourvues d’instruction et d’« armes » pour faire valoir leur droits, se décidèrent en bande, groupée et solidaires, à sortir de leurs gonds, à s’émanciper et à se libérer du joug des patrons et des maris. Pas de sang versé dans cette révolte des ovalistes, autre que celui de leur corps de femme déjà porteur d’une violence intrinsèque à la société patriarcale dans laquelle elles tentèrent pourtant l’impossible, mais un premier sursaut de révolte féministe et sociale. Ce fut un échec certes, mais sans précédent, et pas sans suites. La plume de Maryline Desbiolles court sur les pages - toujours en mouvement, hachurée d’incisions dans la langue pour en décortiquer le sens et comme saccadée par les différentes voix qu’elle porte - autre relais d’une course qui a trait, elle, à la mémoire, celle que l’écriture permet et que la littérature transmet.

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