Littérature étrangère

Jason Mott

L'enfant qui voulait disparaître

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Chronique de Alexandra Villon

Librairie La Madeleine (Lyon)

Le roman de Jason Mott, grand lauréat du National Book Award 2021, se distingue par la manière surprenante qu’il a d’interroger la condition des noirs aux États-Unis. Un récit intelligent, puissant et lumineux.

C’est d’abord l’histoire d’un petit garçon noir de Caroline du Nord, si noir qu’on lui a donné le surnom de « Charbon », à qui ses parents apprennent à devenir invisible, à se terrer dans l’obscurité, comme un jeu pour sa propre sécurité. En parallèle jaillit à cent à l’heure l’histoire d’un romancier à succès complètement déglingué, en tournée promotionnelle pour présenter son « livre d’enfer », alors que tout le pays s’émeut du meurtre d’un petit garçon noir par un policier. Tête brûlée à la langue bien pendue, charmeur aux faux airs de Bukowski, notre romancier est un trublion déboussolé qui ne se souvient plus de ce dont parle son livre, qui n’avait pas remarqué qu’il était noir, qui court nu dans les couloirs d’un hôtel pourchassé par un mari mécontent, qui noie tout cela dans l’alcool et qui souffre depuis l’enfance d’un mal qui lui fait confondre la réalité avec son imagination, qu’il a d’ailleurs débordante ! Puis le roman prend un virage. Les récits s’enchâssent et se confondent. La comédie bouffonne s’estompe, la narration se déforme et change d’horizon. Jason Mott, après nous avoir bien amusés, opère un tour de force narratif et stylistique, faisant se croiser les genres, mêlant réalité crue et réalisme magique. Tout se corse et l’étau se resserre autour d’une vérité dont les contours deviennent de plus en plus nets : celle d’un texte déguisé qui, dans sa danse absurde avec le monde, en a fait disparaître l’essentiel. L’Enfant qui voulait disparaître raconte la rage et l’injustice d’être noir, celle d’avoir peur et la honte de renier sa propre couleur de peau. À mesure que les pages se tournent, l’auteur nous met littéralement la tête en plein dedans, se joue de notre propension à l’indifférence et nous donne à voir ce qui avait fini par devenir invisible : l’inacceptable.

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