Essais

Hal Vaughan

Dans le lit de l’ennemi

illustration
photo libraire

Chronique de Géraldine Huchet

Pigiste ()

On voudrait pouvoir admirer sans équivoque les grands créateurs ; il arrive pourtant que des zones d’ombres, notamment politiques, planent sur eux. À tort ou à raison ? Deux nouvelles parutions tentent d’y répondre.

Il est souvent périlleux d’écorner l’image d’une icône, tant la légende et l’histoire officielle sont promptes à laisser dans l’ombre ce qui fâche. Ainsi de Coco Chanel, dont les biographies, extrêmement nombreuses, n’évoquent pour ainsi dire jamais (ou sous forme de rumeurs) l’antisémitisme et surtout la collaboration avec les nazis. C’est pourtant ce que fait Hal Vaughan, journaliste américain qui s’appuie, dans son nouveau livre, sur de nombreuses archives (reproduites en annexe), notamment tirées des renseignements généraux français et américains. Tout en brossant un tableau foisonnant de la bohème artistique à laquelle appartenait la créatrice (Cocteau, Misia Sert, Reverdy...) et en soulignant ce qu’elle a apporté de neuf à la mode et à la silhouette féminine, il parle pour la première fois du recrutement de Chanel comme agent de l’Abwehr – les services de renseignements de l’état-major allemand – sous la désignation de : agent F-7124, nom de code Westminster ! Il relate aussi deux missions, effectuées en 1941 et 1944, ainsi que sa longue liaison avec un officier nazi qui l’entraîna dans des milieux troubles, ou ses tractations peu reluisantes pour récupérer (sans résultat) sa société de parfum cédée à des industriels juifs avant la Seconde Guerre mondiale. Un vrai roman d’espionnage ! A contrario, la nouvelle édition révisée et augmentée de l’opus de K. Lang sur « le Philarmonique de Berlin dans la tourmente de l’après-guerre », réhabilite la figure de Fürtwangler, célèbre chef d’orchestre de cette prestigieuse formation. 1945 : alors que les Alliés lui interdisent de diriger « son » orchestre, qu’il a pourtant porté à des sommets (sous prétexte qu’il ne s’est pas exilé pendant l’ère nazie, même s’il a pris position contre le régime), il entreprend une fructueuse correspondance avec le jeune Celibidache.