Bande dessinée

Chabouté

Musée

illustration

Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Après Yellow Cab, plongée cinématographique dans les rues de Big Apple au côté d’un chauffeur de taxi, Chabouté compose une irrésistible comédie se jouant de notre rapport à l’art. Une balade atypique et poétique dans le musée d’Orsay qui donne littéralement voix aux œuvres d’art.

Dans les différentes salles de l’ancienne gare devenue musée, les visiteurs de tous âges posent des regards perplexes, admiratifs ou songeurs sur des tableaux ou des sculptures emblématiques. D’emblée Chabouté croque avec talent la masse des badauds qui déambulent dans les allées. Avec son exceptionnelle maîtrise du noir et blanc qui s’épanouit dans des cadrages et des plans composites, il dépeint une mosaïque de visages, de postures et d’attitudes devant l’art. Un homme commente de manière grandiloquente une toile, un autre s’émeut devant les courbes rondes d’une statue. Deux dames s’échangent des astuces de cuisson face à L’Asperge de Manet. Un autre visiteur, égaré, cherche en vain La Joconde. Musée pourrait s’arrêter là et composer une réjouissante étude de société épinglant notre consommation de culture. Mais Chabouté nous fait entrer dans les coulisses nocturnes du musée où les statues et les peintures s’animent et sortent des cadres, vont se dégourdir les jambes, se visitent et commentent ce qu’elles ont entendu ou vu pendant la journée. Les amoureux Anacréon et La Liseuse se retrouvent chaque nuit pour échanger de douces paroles, les bustes en terre d’Honoré Daumier, surnommés « les commères du quartier », s’échangent des potins sur des surveillants et Berthe Morisot au bouquet de violettes guette chaque soir par la fenêtre un promeneur et son chien. Tandis que LOurs blanc de François Pompon contemple les icebergs peints par Alexandre Borissov, Héraklès se rend quotidiennement aux toilettes, intrigué par l’usage de cette pièce. Ces attachants locataires se demandent aussi où les êtres humains peuvent bien aller dans leurs boîtes à roulettes entraperçues à travers les vitraux de la grande horloge, ce que sont les coquillettes ou encore le petit rectangle qu’ils ont collé à la joue. Grâce à cette malicieuse inversion des rôles, Chabouté fait émerger la question de qui regarde qui. Car dans son Musée, les œuvres nous observent, parlent de nous et renvoient un miroir réfléchissant de nos névroses à commencer par notre course effrénée au temps. Au fil des pages, le dessin de l’auteur trouve un terrain de jeu graphique rêvé pour explorer, à travers ces œuvres animées, étonnamment humaines, curieuses des nous, la manière dont nous percevons le monde. Il en résulte un voyage étonnant qui nous mène au plus profond de nos intimités. Ce quotidien d’un musée raconté par les œuvres constitue un éloge graphique splendide de l’utilité de l’art dans nos vies.

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