Littérature française

Négar Djavadi

Désorientale

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Chronique de Jean-Baptiste Hamelin

Librairie Le Carnet à spirales (Charlieu)

Ce premier roman foisonnant mêle avec habileté l’Histoire de l’Iran, de ses habitants, de ses origines, de ses révolutions, à l’histoire de la famille de Kimiâ, dont les parents, intellectuels dissidents, doivent abandonner leur lutte et partir en exil. À la manière d’un conte persan, Désorientale est envoûtant.

Page — Vous venez de recevoir le prix du Style. Que représente pour vous cette reconnaissance qui prime, de plus, un premier roman ?
Négar Djavadi — Je suis à la fois très surprise et touchée, d’une part parce qu’en effet il s’agit d’un premier roman et d’autre part parce que le français n’est pas ma langue maternelle. C’est une langue que j’ai cherché à conquérir, à apprivoiser, tout autant que j’ai essayé de trouver en elle une façon de m’exprimer. Nous avons, elle et moi, une histoire, un chemin parcouru. De fait, j’ai l’impression que ce prix est une façon de nous regarder et nous dire : « Tiens, voilà une belle rencontre ! »

P. — Dès avant la parution de Désorientale, vous aviez reçu le soutien de nombreux libraires. Quelques mois plus tard et après de nombreuses rencontres, quel regard portez-vous sur leur rôle ?
N. D. — J’éprouve beaucoup de gratitude à l’égard des libraires d’avoir choisi le livre au mois de juin, dans le cadre de la rentrée littéraire de Page, ce qui lui a permis d’être sur la liste du prix du Style. Ensuite, je leur suis reconnaissante de l’avoir soutenu, de l’avoir porté et accompagné alors que, dans cette rentrée littéraire, les choix ne manquaient pas. Sans eux, sans leur travail auprès des lecteurs, ce livre n’aurait pu avoir l’accueil qu’il a reçu. Il n’aurait pas pu atteindre autant de lecteurs et bénéficier d’un bouche à oreille incroyable. Depuis septembre, Désorientale m’a permis de rentrer dans les coulisses des librairies, de voir l’ampleur du travail des libraires et la passion avec laquelle ils défendent les livres. Je n’imaginais pas, en tant que cliente, à quel point leur rôle était essentiel dans la vie d’un livre. Un rôle de passeur, de celui qui prend par la main et fait traverser le pont qui sépare l’auteur du lecteur.

P. — Désorientale, roman de la mémoire, emprunte au conte persan de nombreuses formes narratives. Pouvez-vous nous apporter quelques éclairages ?
N. D. — Le conte suppose un narrateur et un auditoire. Ce qui est le cas de Kimiâ, la narratrice du livre, qui s’adresse directement au lecteur. Dans les contes persans, il est beaucoup question de l’Histoire de l’Iran dans les temps anciens, de rois et reines, de combats entre les forces du mal et celles du bien, de voyages à travers le pays. Il y a tous ces ingrédients dans le récit de Kimiâ. De plus, le conteur ne raconte pas deux fois la même histoire. Il invente, il opère des digressions, il épice son récit selon son humeur, la réaction des spectateurs, la situation politique du moment. La narratrice de Désorientale fait de même. Elle possède une mémoire aux couleurs délavées, abîmées, avec des rayures et des ellipses, comme un film Super-8. Enfin, j’ai essayé de garder la familiarité que le conteur instaure avec son auditoire, mais aussi cette part de malice qu’il utilise pour le surprendre, le taquiner parfois, afin de lui donner envie de rester attentif. Autant de procédés qui me semblaient nécessaires pour emmener le lecteur vers un pays, des événements historiques, des personnages qui lui sont a priori étrangers.

P. — Dans vos lectures, quelle place accordez-vous au style ?
N. D. — Le style est un fil d’émotions entre l’auteur et son lecteur. Une même histoire peut être racontée de mille manières. C’est le style qui va les différencier, qui va faire qu’on sera touché par l’une ou indifférent à l’autre. D’une certaine façon, le style, pour moi, est ce qui me fait revenir vers un auteur, qui me donne envie de lire l’ensemble de son œuvre, qui crée un lien entre sa solitude d’écrivain et la mienne. Il est comme la musicalité du livre, sa part intime. De fait, il y a des auteurs qui m’ont marquée bien plus par leur style, par leur façon de poser des mots sur le monde qui les entoure, que par l’intrigue de leur livre. Parmi les auteurs récents, je pourrais citer Laura Kasischke et, bien sûr, Marie N’Diaye.

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