Littérature étrangère
Andrew O'Hagan
Caledonian Road

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Andrew O'Hagan
Caledonian Road
Traduit de l'anglais (Écosse) par Céline Schwaller
Métailié
22/08/2025
656 pages, 24,50 €
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Chronique de
Alexandra Villon
Librairie La Madeleine (Lyon) - ❤ Lu et conseillé par 11 libraire(s)

✒ Alexandra Villon
(Librairie La Madeleine, Lyon)
Après un puissant et bouleversant roman sur l’amitié et sur la jeunesse éternelle, qui l’a fait connaître en France l’année dernière, Andrew O’Hagan change de ton et de cible avec Caledonian Road, livrant une fiction sociale d’envergure sur la société londonienne contemporaine et ses nombreux travers.
Après le succès en France de votre roman Les Éphémères paraît pour cette rentrée littéraire votre nouveau roman, Caledonian Road, fruit de dix années de travail. Cette grande fresque sociale sur la société londonienne s’adresse-t-elle au même public et comment imaginez-vous sa réception auprès des lectrices et lecteurs français ?
Andrew O’Hagan Chaque roman doit être une nouvelle création, avec son propre destin et son propre style. Caledonian Road a un air de famille avec Les Éphémères (le mélange entre comédie et tragédie). Mais il s’en éloigne parce qu’il s’intéresse à une nation plutôt qu’à un petit groupe d’amis. C’est mon roman le plus populaire à ce jour : je pense que les lecteurs attendaient en effet un grand roman sur le Londres d’aujourd’hui. Il prend aussi ses racines en France : je l’ai écrit sous l’influence de Zola et de Balzac, les grands héros de ma jeunesse, qui m’ont appris comment marier poésie, réalité sociale et romanesque. Je suis ravi des premiers retours du public français.
Londres apparaît comme un gigantesque décor où se croisent des personnages de tous les horizons, de toutes les nationalités et de toutes les classes sociales. Qu’est-ce qui en fait un décor unique ?
A. O’H. Londres, plus que n’importe quelle autre ville au monde, est en proie à la corruption depuis la fin des années 1990. Elle s’est développée sous Thatcher mais depuis les années 2000, la ville est devenue une énorme laverie pour blanchir l’argent sale étranger, particulièrement celui en provenance de Russie. Dans le monde des affaires, de l’art, des médias, dans l’aristocratie, un grand changement a eu lieu, extrêmement dramatique, essentiellement lié à l’argent. Cela impliquait d’écrire un roman qui englobe tout cela, tout en mettant en scène des personnages auxquels chacun puisse s’identifier. Tout le monde est fasciné par Londres mais je voulais en montrer les dessous cachés, les vraies forces en action.
Plus de soixante personnages gravitent autour d’un personnage central, Campbell Flynn, un professeur et historien de l’art d’une cinquantaine d’années. C’est un homme qui a tout pour être heureux, bercé par ses privilèges et dont vous allez pourtant nous raconter la chute.
A. O’H. Campbell est un historien de l’art intelligent et très connecté, un intellectuel mondain, père de deux enfants accomplis et marié à Elizabeth, une brillante thérapeute. Il semble avoir tout pour lui. Mais il y a une faille dans sa personnalité : il vient d’un milieu ouvrier écossais assez pauvre et n’a jamais vraiment assumé cela. Et le voilà maintenant cerné par la corruption et par des secrets liés à l’argent. Un jeune étudiant charismatique, Milo, décide de s’en prendre à lui et Campbell se révèle à son contact. Ils sont les deux facettes d’une même pièce, opposés mais faits du même métal. Milo représente le monde moderne mais il est, lui aussi, guidé par sa souffrance. Chacun a ses secrets. Le décor d’un conflit générationnel est planté. C’est le genre d’histoire que j’ai toujours adoré, en tant que lecteur.
Tous les personnages ou presque de votre roman sont gagnés par la corruption : politiques, journalistes, pontes, dealers, marchands d’art et laissés-pour-compte. Pourquoi vous êtes-vous intéressé au monde de l’art qui semble y être particulièrement exposé ?
A. O’H. L’art devrait être ce lieu où se rencontrent ce qu’il y a de plus élevé et de plus profond dans l’existence humaine. Mais de nos jours, c’est en réalité un monde où règnent la cupidité et l’absurdité la plus totale. La beauté et la vérité devraient être au centre de l’art mais c’est la corruption humaine qui s’y est installée. C’est sans doute une mauvaise nouvelle pour la culture mais c’en est une bonne pour les conteurs !
Caledonian Road est un roman fleuve qui s’intéresse à de nombreux personnages et qui multiplie les intrigues secondaires. Au final, tout s’interpénètre. Comment avez-vous construit votre roman ?
A. O’H. Ce fut un travail d’amour. J’y ai mis tout ce que j’avais en tant qu’écrivain, en tant que personne. Je l’ai construit méticuleusement pendant des années de recherche. Je l’ai dessiné comme un architecte, planifié comme une campagne militaire, meublé comme un architecte d’intérieur, analysé comme un psychologue, j’ai mélangé ses fragrances comme un parfumeur et conduit son récit comme un réalisateur. Je voulais que le monde de Caledonian Road marque durablement l’esprit des lecteurs.
Même si les thématiques abordées dans le roman sont plutôt sombres, Caledonian Road n’échappe pas à l’humour. Si Londres est un théâtre, peut-on dire que votre histoire est une tragi-comédie sur les grands maux de notre époque ?
A. O’H. Oui. La comédie est au centre de l’histoire. Même dans les moments sombres, les protagonistes restent drôles, surprenants, sympathiques, ironiques et tellement humains dans leur volonté de voir le bon côté des choses. Croyez-moi, j’ai vu des choses horribles ! Et c’est toujours au cœur de l’obscurité que s’épanouit la comédie sociale : rien n’est plus humain que de regarder l’horreur dans les yeux et de lui rire au nez.
Campbell Flynn est un professeur d’histoire de l’art en apparence sans histoires, un homme accompli à qui tout a réussi. Sa rencontre avec un jeune étudiant engagé, hacker surdoué, va venir tout changer, le poussant à mettre le doigt dans un engrenage auquel il ne pourra échapper. Faisant graviter plus d’une soixantaine de personnages autour de son protagoniste principal, Andrew O’Hagan dresse le portrait tentaculaire d’une ville, Londres, devenue l’une des principales scènes de théâtre d’un Occident malade, gangrenée par l’argent sale, la corruption, l’impunité des pontes et la misère des parias. Une grande fresque sociale, profondément humaine, sombre, drôle et palpitante, servie par une plume fine et affûtée.