Littérature étrangère

Mo Yan

Le Veau

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photo libraire

Chronique de Sandrine Maliver-Perrin

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Prix Nobel de littérature

 

« Celui qui ne parle pas », telle est la traduction de Mo Yan, nom de plume discrètement éloquent qu’a choisi l’auteur qui vient d’obtenir le prix Nobel de littérature. À 57 ans, l’écrivain chinois se distingue par le « réalisme hallucinatoire » avec lequel il raconte la Chine contemporaine, mêlant le conte, le folklore et l’Histoire. Son dernier recueil, largement autobiographique, ne déroge pas à la règle. Un pur régal ! 

Écrivain prolifique, Mo Yan n’a jamais été autant encensé par la presse que ces dernières semaines, et les lecteurs qui ne le connaissaient pas encore ont ainsi pu découvrir la vie et l’œuvre de l’un des plus grands auteurs chinois de notre époque. Une œuvre forte de près de quatre-vingt romans et nouvelles, dans laquelle vivent et meurent le monde animal et le monde rural, si propices à la fable et à la farce, deux genres qu’affectionne l’auteur. Une œuvre où se déploie une campagne peuplée de personnages truculents et faussement naïfs qui, contrairement à leur créateur, sont souvent extrêmement bavards ! Heureuse coïncidence, un nouvel ouvrage vient de paraître au Seuil et devrait être, pour les novices, une bonne introduction à l’œuvre du Nobel. Car ces deux nouvelles sont typiques du style, de l’intelligence et de la virtuosité de Mo Yan, avec leur humour sous-jacent, la mise en scène de paysans roublards aux prises avec une réalité souvent difficile et le ton du conte. Chacune d’entre elles est l’occasion pour l’auteur, qui se livre ici comme jamais auparavant, de mettre en scène une galerie de personnages savoureux et de faire revivre la Chine rurale, le village et la province de son enfance.
La plus longue nouvelle, « Le Veau », met en scène un adolescent turbulent et bavard en proie à ses premières pulsions sexuelles et aux prises avec la souffrance du veau et la ruse des hommes. Après avoir assisté à la castration de bovins, le garçon, tel le baron perché d’Italo Calvino, monte sur un arbre pour écouter les conversations d’un groupe d’adultes jouant aux cartes. Niché dans les branches, il les agace prodigieusement avec ses questions et ses réflexions, par trop pertinentes. Et tant pis s’il doit parler tout seul, il n’a de cesse de se faire entendre ! Bien qu’ils s’en défendent, les paysans continuent à comparer « l’ancienne et la nouvelle société », et toute discussion se conclut toujours de la même manière : aujourd’hui, « les hommes sont heureux et les bêtes aussi ». Mensonges d’adultes aveugles ou qui n’osent pas critiquer à voix haute les normes en vigueur ? Ou vérité vraie ?
« Le coureur de fond » raconte comment l’instituteur d’un village participe de façon inattendue à la plus grande manifestation sportive du bourg où il enseigne. Nous suivons un petit garçon de 10 ans, candide et curieux, spectateur de la course organisée par son école. À chaque tour de piste, c’est la surprise, le suspense grandit, tandis que l’enfant dresse un tableau drôle et attachant de la vie de son canton.
D’aucuns le qualifient de « Rabelais chinois » tant sa plume est truculente et picaresque. D’autres critiquent son silence face au régime communiste et déplorent qu’il ne prenne pas position comme nombre de ses pairs. Ses défenseurs arguent qu’il se livre en réalité à une critique métaphorique très fine du régime. Qui le sait en réalité, sinon lui ? Mo Yan est un écrivain qui aime mêler le réel et le fabuleux. Il se plaît à naviguer en eaux troubles, entre réalité et fiction, comédie et tragédie. Ses personnages sont souvent insaisissables, ses cadres de narration et ses intrigues ambigus. Comme lui. Et c’est peut-être ce qui fait de cet auteur majeur un romancier aussi atypique et talentueux.