Littérature française

Karine Tuil

La Décision

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Chronique de Marie-Ève Charbonnier

Librairie Paroles (Saint-Mandé)

Comme avec son dernier livre Les Choses humaines (Gallimard et Folio), Karine Tuil aime s’attaquer aux sujets qui sont à la fois dit « de société » et difficiles. Si elle réitère le genre judiciaire, elle nous entraîne cette fois dans le sillage d’un juge antiterroriste et de sa prise de décision.

Alma Revel est magistrate au Pôle antiterroriste et sa vie tourne autour de son travail. Elle est mariée à Ezra Halevi, ancien auteur à succès, et ensemble ils ont trois enfants, Milena, 23 ans, Marie et Elie, deux jumeaux de 12 ans. Toute sa vie tourne autour de son métier, intense, aussi bien dans la charge de travail (les heures et les jours ne sont pas comptés) que dans la responsabilité qui est la sienne. Chaque jour elle doit statuer sur des hommes et des femmes, des actions, qui ont mis en péril ou risquent de mettre en péril la vie, la liberté de quantité d’êtres humains. Flottant sur cette mer d’intranquillité, sa vie personnelle ressemble à un bateau en pleine tempête : malmené et sur le point de chavirer à tout moment. Dès les premières pages du livre, la tension est palpable : trois mois auparavant un événement qui a bouleversé sa vie s’est produit, qu’on ne connaîtra qu’à la toute fin. On rembobine le film. Parmi les dossiers qu’Alma traite, il y a celui d’un homme revenu de Syrie, Kacem, que l’on soupçonne de s’y être radicalisé. Doit-on le laisser en liberté ? Faut-il le retenir en détention ? Présente-t-il un danger pour la société ? Voilà la fameuse décision qu’elle doit prendre. « Et qu’est-ce qu’une bonne décision ? Bonne pour qui ? Le mis en examen ? La société ? Ma conscience ? », s’interroge Alma. La chose n’est déjà pas simple, mais elle est d’autant plus complexe que l’avocat de cet homme, Emmanuel, se trouve être un de ses anciens amants. Un homme qu’elle a énormément aimé. Les éléments du puzzle n’ont plus qu’à s’emboîter, de façon implacable. Tout l’art de Karine Tuil est de s’attaquer à un sujet de société complexe et de le traiter de façon nuancée et posée, en décortiquant l’âme humaine. Rien n’est trop sombre pour elle, ni trop complexe. L’action avance, tel un ressort qu’on débande, entrecoupée d’entretiens de la magistrate avec le mis en examen et de retours en arrière sur sa propre vie. Tout est fait pour expliquer, mettre en perspective et nuancer. Pour rendre compte au mieux de son sujet, la langue de Karine Tuil est concise, brève. Presque sèche. Pas de phrase sinueuse, pas de mots inutiles. Le chemin est évident pour l’autrice, le point d’arrivée aussi, elle nous prend par la main et nous y emmène, main de fer dans un gant de velours. Laissez-vous conduire, vous n’arriverez pas au but indemne.