Littérature étrangère

Jón Kalman Stefánsson

À la recherche de l’enfance perdue

L'entretien par Marie-Ève Charbonnier

Librairie Paroles (Saint-Mandé)

Avec ce neuvième roman paru en France, le grand écrivain Jón Kalman Stefánsson nous immerge dans une enfance islandaise brisée par la mort et c’est le récit d’une vocation qui surgit au fil des pages. On retrouve avec bonheur la fantaisie, l’humour et la poésie qui le caractérisent.

Quel a été le point de départ, le fait générateur de ce roman ?

Jón Kalman Stefánsson - J'avais commencé à écrire un autre roman, historique, qui se déroule principalement en Islande vers 1540-1616, quand ce roman-ci a commencé à me hanter. J'ai essayé de le repousser : « ce n'est pas le moment », lui ai-je dit, « reviens dans deux ans ». Mais il n'a pas voulu m'écouter, il a continué à me harceler, jour et nuit, alors j'ai fini par lui promettre d'essayer de l’écrire. Après deux ou trois semaines, j'ai compris que je devais continuer parce qu'un univers entier s'était ouvert : un monde de l'enfance, des disparus, des Beatles, des morts, de Keflavík, de l'extrême Nord de l'Islande, de l'époque de 2500 avant J.-C. jusqu'en août 2022 où nous rencontrons Paul McCartney dans un parc à Londres et tout près une Trabant, un Dieu en colère forçant Johnny Cash à jouer des chansons terribles. En d'autres termes, un roman sur les choses fondamentales de la vie et de la mort.

 

Pourquoi ce ton résolument autobiographique pour ce neuvième roman paru en France ?

J. K. S. - Ce livre est en quelque sorte lié à deux romans que j'ai écrits au début des années 2000, publiés en Islande en 2001 et 2003, dans lesquels je raconte, entre autres choses, l’histoire d’un jeune garçon qui a perdu sa mère et dont le père ne parvient pas à faire face à cette perte. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai hésité lorsque cette histoire m’est apparue et m’a demandé d’être écrite. Je pensais avoir suffisamment écrit sur le sujet. Il s’est avéré que j’avais tort. Certaines choses sont impossibles à décrire, à saisir et c’est pourquoi nous essayons encore et encore de les écrire, de les mettre en mots, en musique. Nous devons simplement le faire pour pouvoir continuer à avancer, à comprendre et pour mesurer la distance entre la vie et la mort. Et oui, c'est un roman autobiographique, parce qu'il est en partie fondé sur ma vie ; mais seulement en partie. C’est un roman qui transforme mes souvenirs et ma vie en quelque chose de bien plus grand.

 

L’une des caractéristiques de vos romans est leur construction, avec une utilisation très particulière des différentes temporalités de la narration. Comment procédez-vous ?

J. K. S. - La construction d’un roman est importante pour moi, on peut presque dire que c’est l'un des personnages. Peut-être que la construction de mes romans et la façon dont le temps s'y écoule sont une seule et même chose. Une sorte de souffle, une sorte de musique qui se fondent l'un dans l'autre ; et qui se fondent ensuite avec les histoires, les personnages, le style. Pour moi, tout cela fait partie du ton de mes romans. Le ton qui, d'une certaine manière, les transforme en symphonie, en requiem et en aventure.

 

Est-ce qu’écrire, pour vous, c’est repousser la réalité ou faire revivre le passé ?

J. K. S. - Pour moi, l'écriture est – parmi beaucoup d'autres choses – un moyen d’élargir le monde, notre vie, de créer un nouvel univers à côté du nôtre, en espérant qu'ils s'influenceront l'un l'autre, sans fin. Je ne pense donc pas repousser la réalité mais plutôt l'enrichir, la défier. Certains disent que l'absurde est la seule façon de décrire nos vies et nos pensées. Et l'on peut ajouter : si c'est le cas, alors le réalisme est une façon absurde de décrire le monde, vouée à l'échec. Et faire revivre le passé ? Oui, toujours, car sans le passé, nous nous perdons, non seulement dans notre présent mais aussi dans l'avenir. Nous portons tous en nous le passé. Notre propre passé, celui de nos parents et de nos grands-parents, mais aussi celui de notre nation. En d'autres termes, il est toujours en nous, comme une respiration constante et nous ne comprendrions rien, ou beaucoup moins de choses, si nous n'essayions pas de nous y connecter.

 

On ne peut pas ne pas parler du style qui vous caractérise, d’une poésie totale. Diriez-vous que vous êtes d’abord poète ou d’abord romancier ?

J. K. S. - Peut-être un poète qui écrit des romans ? J'ai commencé comme poète, j'ai publié trois livres de poésie avant de commencer à écrire de la fiction. Je suppose que cela influence ou colore mon style. Je pense que j'écris simplement comme je pense. En d'autres termes, je ne pourrais pas écrire différemment. Cela vient sans réfléchir. La poésie est mon souffle. Je suis poète quand j'écris de la poésie – j'ai publié mon quatrième recueil de poésie en 2021 – mais je suis à la fois poète et romancier quand j'écris des romans. Sans poésie, il n'y a pas de vie.

 

 

Le narrateur est Islandais, il est romancier, il est né en 1963, il aime la musique en général, les Beatles en particulier. Autofiction ou roman ? Tout démarre dans un parc londonien où le narrateur s’apprête à engager une conversation avec Paul McCartney. Mais auparavant, il doit mettre de l’ordre dans ses idées. 1969, année charnière qui voit, à quelques mois d’intervalle, la mère du narrateur mourir et les Beatles se séparer. Et le monde s’effondrer. C’est alors le temps qui se déroule, avec ces allers-retours caractéristiques de l’auteur, pour construire ici le récit d’une vocation et la naissance d’un écrivain. Avec le temps comme sujet central du roman. Mais aussi l’amour, la mort, l’amitié, la musique : la vie, quoi !