Littérature française

Patrick Modiano

La Danseuse

illustration

Chronique de Marie-Ève Charbonnier

Librairie Paroles (Saint-Mandé)

Après une trentaine de romans et deux ans après la parution de Chevreuse, Patrick Modiano revient avec La Danseuse. On y retrouve les thèmes chers à l’auteur : un Paris disparu que le narrateur arpente inlassablement, le temps passé, les souvenirs, les milieux troubles ou interlopes, les femmes.

Il y a des auteurs, dont fait partie Patrick Modiano, qu’on reconnaît infailliblement au sujet traité, à la voix, à la musique de la phrase. Et pourtant, il parvient encore à nous surprendre dans ce roman. Nous sommes donc à Paris, essentiellement dans les 17e, 9e, et 8e arrondissements, arrondissements de prédilection de Patrick Modiano. Le narrateur en arpente les rues, entre le studio qu’il habite et où il écrit (ou traduit) et l’appartement de la Danseuse, où il se rend souvent, la raccompagnant de ses leçons de danse, de ses spectacles. Il se souvient de cette femme qu’il a connue, qu’il a aimée. « Brune ? Non. Plutôt châtain foncé avec des yeux noirs. » C’est l’incipit en forme d’oubli. C’était il y a un certain temps, les années 1960 ou 1970 peut-être. Cette femme nimbée d’imprécisions, avec laquelle il avait eu, croit-il se rappeler, une liaison, forme le point d’ancrage du roman. Le narrateur tente de reconstituer sa vie, ses relations, son passé et les creux de celui-ci. Autour d’elle passeront Hovine, un ami de la famille et connaissance du narrateur, Kniassev, son professeur, Pierre, son fils, dont il se demande s’il pourrait maintenant le reconnaître. « Si on me montrait aujourd’hui deux photos anthropométriques de son visage – face et profil – aurais-je une chance de le reconnaître ? » Le récit est toujours émaillé de ces noms si particuliers, marque de fabrique de l’écrivain. Comme d’habitude avec Patrick Modiano, le questionnement permet la définition, la précision. Mais ce qui est creusé ici, semble-t-il plus encore que d’habitude, c’est l’insaisissabilité du souvenir, l’inquiétude que celui-ci s’émousse, l’inquiétude des changements liés au passage du temps. Changements sur les êtres que l’on tente de faire ressurgir avant qu’on ne les oublie totalement : « Il faut marcher à pas comptés pour déjouer le désordre et les pièges de la mémoire ». Et si le narrateur aperçoit des gens qu’il croit reconnaître, se trompant, c’est lui aussi que parfois on prend pour un autre, dans un double mouvement d’oubli. Il y a également dans ce roman la prise de conscience des changements de l’environnement, d’un Paris qui s’est modifié et lui échappe. « D’où venaient ces centaines de milliers de touristes dont on se demandait s’ils n’étaient pas les seuls, désormais, à peupler les rues de Paris ? » Et puis, dans ce roman comme dans les précédents, il y a le style si particulier de l’écrivain : la musique de la phrase, l’imparfait qui règne en maître, quel que soit le passé, proche ou lointain, les dialogues rares, par bribes. Toutes ces particularités qui font qu’on le lit, cette fois encore, avec le plaisir d’une madeleine retrouvée.