Littérature française

Camille Laurens

Entretien par Céline Dereims

(Librairie Les yeux qui pétillent, Valenciennes)

Camille Laurens remporte le prix Page des libraires 2025 avec Ta Promesse, publié en janvier aux éditions Gallimard. Un roman où l’amour se mêle à la violence et où l’autrice nous subjugue par son écriture. Dans ce roman, une seule promesse tenue, celle d’un très beau moment de lecture.

Votre roman a été soutenu par de nombreux libraires Page dès sa sortie comme en témoigne le numéro d’hiver de la revue. Que représente ce prix pour vous ?

Camille Laurens – J’y suis très sensible. Les libraires sont pour moi des super lecteurs et des passeurs : ils ne se contentent pas de lire et d’aimer certains livres, ils savent aussi transmettre leurs impressions et leurs passions, et ils ne le font pas au hasard. Un bon libraire est un fin psychologue, il connaît ses clients, sait quoi leur conseiller. C’est un métier d’utilité publique, on l’a du reste bien vu pendant la pandémie. Et puis j’aime le courage des libraires en ces temps difficiles.

 

Votre roman nous montre à voir les ravages de l’amour toxique et de l’emprise dans le couple. La force du propos est soutenue par une construction narrative singulière, un récit judiciaire où accusée et témoins se confient sur cette affaire intime. Très vite, à travers ces témoignages, une évidence se dessine : la victime n’est pas celle que l’on croit. Pourquoi ce choix pour parler de l’emprise dans le couple ?

C. L. – Je voulais absolument éviter tout manichéisme qui désignerait une femme victime et un homme coupable. Le phénomène d’emprise se joue à deux, c’est un nouage complexe. Cependant, je souhaitais aussi illustrer une réalité que de nombreuses lectrices avocates m’ont confirmée depuis, au gré de mes rencontres en librairies : c’est que la manipulation est très difficile à prouver. Il n’y a pas de traces, tout se joue dans le secret de l’intimité, dans les mots, tandis qu’en société le pervers avance masqué, si bien que, souvent, la victime n’est pas crue et parfois c’est elle qui est accusée ou traitée de folle.

 

Dans ce couple, chacun va faire une promesse à l’autre. Ces promesses sont le reflet de leurs failles et de leurs peurs intimes. À quoi servent les promesses que l'on se fait ? La formulation de telles promesses n’est-elle pas déjà un aveu de l’échec annoncé de ce qu’on veut protéger ?

C. L. – On peut effectivement penser que si l’on éprouve la nécessité d’une promesse, c’est qu’on a peur qu’elle ne soit pas tenue. Si on était confiant, on n’aurait pas besoin de se prémunir contre l’avenir. Claire et Gilles ont des craintes secrètes et quoiqu’elles les entraînent sur des chemins différents, ce sont sans doute les mêmes : peur d’être abandonné, de ne pas être digne d’amour, de ne pas « suffire ». La promesse est une façon illusoire d’exiger de l’autre ce qui lui manque.

 

Votre roman soulève l’épineuse question des violences psychologiques et comment notre société les juge. Si Claire doit répondre de ses actes, Gilles n’est pas inquiété pour son comportement toxique. Notre société et notre justice sont-elles adaptées à notre époque et comment peuvent-elles protéger face au narcissisme destructeur de certains ?

C. L. – C’est un vrai problème dans le système judiciaire actuel. Les violences psychologiques sont encore très sous-estimées par rapport aux violences physiques, alors qu’elles peuvent elles aussi être mortelles – suicides, dépressions, maladies graves ne sont pas rares chez les victimes. Le but d’un pervers narcissique est la destruction de l’autre. Mais il opère de manière insidieuse, dans le couple mais aussi dans les relations professionnelles, familiales, politiques. Notre société est assez démunie, faute de preuves. Dans la pratique, la seule solution est de fuir les personnes toxiques. En amont, l’éducation reste la meilleure prévention : dès l’enfance, l’empathie, l’intelligence émotionnelle devraient primer sur les manifestations excessives de l’ego.

 

Claire a déjà connu une relation toxique avant de rencontrer Gilles. Malgré les les signaux qu'elle ne semble pas voir, elle se laisse porter par l’amour qu’elle ressent. Finalement, est-ce une façon de montrer qu’en amour on reproduit souvent les mêmes schémas ?

C. L. – J’ai écrit un essai entier sur le sujet de la répétition (Encore et jamais, Gallimard, 2013). Souvent, nous répétons de façon névrotique les mêmes scénarios de vie. Inconsciemment, nous sommes attirés par les mêmes personnes qui vont nous faire souffrir de la même façon. En prendre conscience est déjà un premier pas vers la possibilité de sortir du schéma mortifère.

 

Si la promesse faite à Gilles emprisonne complètement Claire, jusqu’à l’empêcher d’écrire, sa rupture va lui permettre de reprendre vie. C’est dans l’écriture qu’elle va réussir à surmonter cette situation. Dans quelle mesure la création peut-elle être salvatrice ?

C. L. – Je tenais beaucoup à ce que Claire soit écrivaine car le roman est aussi, et peut-être avant tout, l’histoire d’une résurrection par la création. « La seule façon de se sortir d’une histoire personnelle, c’est de l’écrire », disait Marguerite Duras. C’est ce que fait Claire : le chagrin se change en idées, en phrases, la construction romanesque vient contrer la destruction psychologique. Le processus est lent, douloureux mais magique !

 

 

Lorsque Claire rencontre Gilles, elle est sûre que c’est le bon. Il est attentionné et semble sincère. C’est l’amour fou. Alors, le jour où il lui demande de lui faire la promesse de ne jamais écrire sur lui, elle ne voit pas le piège se refermer. Pourtant, de manière insidieuse, l’amour idyllique se transformera en amour toxique et conduira Claire à l’impensable. Camille Laurens nous livre un grand roman sur l’amour et le couple. Si l’histoire se finit mal, elle révèle le pourquoi de toutes les promesses illusoires que l’on peut exiger de l’autre. C’est aussi une réflexion remarquable sur la domination et la manipulation, comment elles pervertissent insidieusement notre société et nos rapports.

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