Beaux livres

Jon Savage

The England’s Dreaming Tapes

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Chronique de Arnaud Bresson

Librairie Sauramps Comédie (Montpellier)

Nostalgie, quand tu nous tiens… Histoire de se replonger dans la saga du courant musical le plus important de la seconde moitié du XXe siècle, nous vous présentons une sélection des nombreux ouvrages rock de cette fin d’année surfant sur la vague nostalgique.

Le rock est cette bête sauvage et étrange, pouvant se rapprocher du Phénix, qui semble s’éteindre à la fin de chaque décennie, voire même de chaque année et qui, par on ne sait quel miracle, renaît de ses cendres dans un enthousiasme toujours juvénile, faisant prendre à ses fans un merveilleux bain de jouvence, les illusionnant d’être toujours des adolescents, les souvenirs en plus. Ce qui va nous intéresser ici, c’est justement de replonger les adeptes de cette secte païenne dans les délices des « tu te souviens de... » et autres « ah oui, ça me rappelle... ! » , pratique souvent décriée dans ce milieu où « il faut vivre avec son temps » et où « quand c’est trop fort, c’est que t’es trop vieux ! »

À tout seigneur tout honneur, le journaliste rock le plus médiatique de l’hexagone, Philippe Manoeuvre, nous revient au meilleur de sa forme pour un nécessaire volume 2 de sa Discothèque idéale du rock. Nécessité tant le premier tome nous laissait sur notre faim, ceci dit non pour critiquer une quelconque pertinence dans les choix de l’auteur, aux partis pris assumés, mais parce que cent un semblait un chiffre un peu court et frustrant pour une véritable discothèque idéale, à moins de n’avoir qu’un espace minuscule à consacrer à cette passion. Ce deuxième opus a différents objectifs : réparer les oublis du premier volume (Ziggy Stardust de Bowie, Transformer de Lou Reed ou London Calling des Clash), se faire un plaisir de spécialiste en mettant en avant des albums que le grand public ne s’attendait pas forcément à trouver là, mais également faire plaisir aux fans, ceux-ci étant agréablement surpris de retrouver leur groupe favori dans cette prestigieuse liste. Pour être complètement honnête, ce qu’on aime dans ces ouvrages, les deux volumes confondus, c’est exactement cela : pouvoir prendre plaisir à trouver ses albums favoris, mais aussi s’agacer de certains choix de l’auteur qui ne sont pas forcément du goût du lecteur. Dans cet esprit, votre serviteur voudrait remercier M. Manœuvre d’avoir placé dans ce deuxième volume (dans son esprit partisan, il aurait voulu que ce soit bien évidemment dans le premier) l’album Stray Cats du groupe éponyme, qui a bercé (verbe pas forcément adéquat) sa prime adolescence.

Dans un style radicalement différent, Vincent Brunner nous gratifie d’un Rock Strips come back qui, comme son nom l’indique et à l’instar d’un Rocky ou d’un Parrain (cherchez l’erreur), fait suite au titre du même nom. On y retrouve la même formule écrit + bande dessinée qui a fait la réussite du premier ouvrage. L’attrait et l’originalité de cette séquel vient justement du fait que les poids lourds du genre, passage obligé de ce type d’ouvrage, ont déjà été traités dans le précédent volume et qu’en conséquence, le choix des artistes présentés est un peu plus original et permet à l’amateur de (re)découvrir certains groupes. On trouve également, au-delà du rock, plusieurs genres représentés, le reggae avec Bob Marley, la chanson française avec Brigitte Fontaine et Serge Gainsbourg, ou encore le funk, la musique électronique, le folk et la country. Certaines séquences sont particulièrement réussies, soit parce que l’imaginaire et le dessin collent parfaitement à l’univers de l’artiste (Chaumaz pour Kraftwerk), soit parce que l’originalité de la mise en scène et du scénario transcende l’histoire du musicien présenté (King Crimson par F. Peeters ou The Libertines par Ruppert et Mulot). Soulignons également les beaux exercices de style de Loustal, qui démontrent, s’il en était besoin, que son dessin en noir vaut largement celui en couleur.

 

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Pour picorer les anecdotes de l’histoire du rock, voici l’ouvrage idéal. Dans Culture rock l’encyclopédie, Denis Roulleau nous divertit en rapportant les moments cruciaux, les acteurs majeurs, d’autres plus mineurs, de tous les domaines culturels investis, la presse, la littérature entre autres. Il nous fait passer par tout le spectre des émotions tout en nous instruisant de façon légère. L’impression, en parcourant les pages de ce volume, est celle de piocher dans un paquet de bonbons : certains sont acides, d’autres guimauve, d’autres encore très sucrés et tous ont des couleurs incroyables. Un régal !

 

Une histoire musicale du rock, quant à elle, aborde le thème qui nous intéresse d’une façon plus universitaire, donc sérieuse, si ce n’est austère de prime abord. Cependant, cette approche a ceci d’original que l’auteur, Christophe Pirenne, enseignant et historien de la musique, débute chacun des chapitres de son ouvrage par une chanson emblématique d’un courant ou d’une époque, la décortique d’un point de vue purement technique pour ensuite rebondir et enchaîner sur le contexte, l’époque et les genres musicaux qui s’y rattachent. Le lecteur est entraîné dans une sorte de serpentin de dominos qui tombent, les uns faisant chuter les suivants. Il revisite cette histoire du rock intégrée à l’Histoire tout court, construisant l’ouvrage comme une saga passionnante, pleine non seulement d’analyses sociétales, comportementales et économiques, mais aussi de rebondissements et de coups de théâtre. Un ouvrage riche, complet et indispensable.

And last but not least, dans une approche un peu plus locale du sujet, nous citerons le très bel ouvrage de Jérémy Bernède et Eric Delhaye sur 25 ans du Rockstore. Cette salle rock montpelliéraine, devenue mythique dans la région et même au-delà, a accueilli en son sein ce qui s’est fait de mieux sur la scène rock lors des deux dernières décennies. Il n’y a qu’à compulser la liste complète des artistes pour s’en rendre compte ! Cette programmation sans concessions, permettant à de jeunes groupes locaux et internationaux de se produire en live, est savoureusement mise en valeur dans ce beau livre à la maquette séduisante, aux photos in situ de grande qualité et aux entretiens passionnants avec les acteurs et participants de cette aventure.

Nous voudrions terminer par un petit focus sur The England’s dreaming tapes de Jon Savage, publié dans l’excellente collection rock d’Allia. Cet ouvrage rassemble une partie du matériau brut non utilisé par l’auteur pour l’écriture de The England’s dreaming, consacré à l’épopée du mouvement punk britannique. Nous y retrouvons avec plaisir les interviews des acteurs de l’époque, pour certains disparus depuis, tels Malcolm Mc Laren, Joe Strummer, Chrissie Hynde ou Steve Jones… Une véritable mine d’or.

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