Bande dessinée

Elene Usdin

René.e aux bois dormants

illustration

Chronique de Claire Rémy

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Illustratrice prolifique pour la littérature jeunesse et la presse, Elene Usdin signe ici son premier album solo. Un conte aussi déroutant qu’envoûtant, qui happe dès les premières pages et impressionne au fur et à mesure par la richesse de son scénario. Un incontournable de la rentrée !

Frédéric Lavabre, éditeur enthousiaste de ce René.e aux bois dormants, reconnaît qu’un projet comme celui-ci, « on en reçoit peut-être deux ou trois dans sa vie d’éditeur. Et encore. Et le jour où on le reçoit, on sait, tout simplement. ». On pense qu’il exagère et puis on ouvre ce gros album de presque 300 pages et on se dit qu’il se passe effectivement quelque chose. Dès les premières planches, ce sont des couleurs et une mise en scène qui retiennent l’œil, puis rapidement, une histoire un peu mystérieuse, à tiroirs, qui emporte. René vit seul avec sa mère au cœur d’une grande ville canadienne, trop grande pour lui. Enfant solitaire à la maison, où il reçoit peu d’amour, comme à l’école, où sa différence provoque le rejet de ses camarades, il a pour seul ami son lapin en peluche. Sujet aux évanouissements, il part alors dans des songes quasi psychédéliques où les couleurs directes d’Elene Usdin font merveille. C’est lors de l’une de ces phases qu’il va partir à la recherche de son lapin disparu et faire la rencontre, au cours d’un grand voyage, d’une ribambelle de créatures oniriques : Aorens, l’ogre mangeur de lumière, Deux-Esprits, le géant hermaphrodite, et la touchante Isba, reine d’un royaume interdit aux hommes et descendante Wendigo. Cet étrange voyage aura pour but de lever le secret sur ses origines tout en étant en quête de sa véritable personnalité. Enfin, il sera également question de la transmission familiale, de l’héritage identitaire et émotionnel légué à nos enfants, souvent non intentionnellement. Travail titanesque de plusieurs années, ce livre est de ceux qui restent en tête longtemps après la lecture, qui transportent, émeuvent et donnent la sensation aux lecteurs d’avoir entre les mains un ouvrage important. La beauté est au détour de chaque page, grâce à des couleurs et un lettrage fait à la main par Elene Usdin. Les doubles pages sont des tableaux qu’on voudrait voir exposés. S’emparant du grave scandale des enfants des Premières Nations enlevés à leur famille et donnés en adoption à des familles blanches canadiennes, cet album a l’intelligence de passer par le conte, digne de Carroll et des grands récits de notre enfance. S’inspirant habilement de la mythologie des Premières Nations pour donner forme à un récit intime mais destiné à ouvrir les yeux de tout le monde, Elene Usdin nous fait également regarder en face la place des individus dits « différents » dans nos sociétés gouvernées par une norme blanche. Un livre brillant et une véritable démarche artistique !