Bande dessinée

Fred Bernard

La Paresse du panda

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Chronique de Claire Rémy

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Après quatre ans d’attente, on retrouve enfin Jeanne Picquigny,
l’exploratrice féministe, épicurienne et sexy (oui, oui tout ça !) de Fred Bernard, pour une nouvelle aventure au cœur de l’Himalaya. Un nouvel épisode qui mêle habilement rebondissements et moments intimistes, au long d’un voyage palpitant et envoûtant.

À la fin de La Patience du Tigre (Casterman, 2012), nous avions laissé Jeanne Picquigny avec son mari Eugène Love Peacock et le reste de leur expédition au cœur de l’Himalaya… C’est au même endroit que nous les retrouvons, au fond d’une grotte extraordinaire. Ils en ressortiront après plusieurs mois, convaincus de n’y être restés qu’un jour. Cette sorte de faille temporelle leur permettra de parcourir les montagnes du Tibet jusqu’à la Chine, pour enfin revenir en France, en Bourgogne, au terme de mille et une aventures. L’intrigue se déroule en 1925 dans un contexte historique pour le moins tourmenté – montée des fascismes en Europe, Révolution chinoise… – et nous est racontée par Lily Love Peacock, petite-fille de Jeanne (rencontrée dans l’album éponyme sorti en 2006 chez Casterman) qui, de nos jours, découvre avec avidité le témoignage de sa grand-mère à travers journaux, photographies et films. Nul besoin d’avoir lu les autres tomes de la saga de Fred Bernard pour se laisser absorber par ce nouvel épisode et y plonger dès les premières cases avant d’en ressortir une fois parcourues ces presque 400 pages délicieuses. Un « cep généalogique » et une courte biographie des principaux protagonistes permettent à chacun de se resituer, et plus on avance dans la lecture, plus on a envie de (re)découvrir les aventures de cette tribu pas banale. Jeanne parcourt l’Asie, affrontant avalanches, pluies torrentielles, faim, manque d’apéro et émoussement du désir d’Eugène (épicurienne, vous dis-je), sans trembler, portée par sa force de caractère, le désir de vivre pour ses enfants, se nourrissant quasi exclusivement d’étranges « crottes de Dieu » (je ne vous en dis pas plus) aux mystérieuses propriétés énergisantes. Paysages à couper le souffle, rencontres décisives, rêves érotico-mystiques et retournements de situation jalonneront cette nouvelle aventure, dont Jeanne a scrupuleusement consigné le récit à travers ses écrits et ses images. Cet héritage est retrouvé par Lily dans la maison familiale bourguignonne où elle est venue se ressourcer. Le manoir est toujours occupé par Victoire, très proche amie de Jeanne et Eugène, gardienne de leurs trésors et magicienne portée sur les sciences occultes. Elle aussi va, à sa manière, transmettre un certain nombre d’indices à Lily sur son extraordinaire mamie, tout en gardant sa part de mystères, nous faisant sans cesse naviguer entre rêves et réalité. Chanteuse de rock, Lily réinvente son univers musical grâce à ces récits, mais trouve également des pistes pour savoir ce qu’elle attend de la vie. La phrase d’Annie Ernaux citée dans le livre reflète parfaitement cette idée : « Tout le passé est nécessaire pour aimer le présent. » C’est là toute la réussite de ce nouvel épisode : alterner brillamment grand récit d’aventure et réflexion sur la transmission familiale, à travers le portrait passionné de femmes d’exception. Fred Bernard aime ses héroïnes et ne nous laisse d’autre choix que de leur succomber également. Quant au panda, me direz-vous... il est le héros d’une des réparties les plus piquantes de Mademoiselle Picquigny !