Littérature étrangère

R.K. Narayan

Le Guide et la Danseuse

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photo libraire

Chronique de Daniel Berland

Pigiste ()

R.K. Narayan, disparu il y a une dizaine d’années, est une voix majeure de la littérature universelle. Et s’il n’a pas encore trouvé en France la digne place qui devrait pourtant être la sienne, gageons qu’avec la réédition de ce monument de la littérature indienne, les éditions Zulma permettront aux bons lecteurs de réparer l’injustice…

C’est par amour de l’argent que Raju est devenu guide touristique à Malgudi et qu’il a ouvert sa boutique près de la gare. C’est par amour pour Raju que Rosie, la belle femme mariée, s’éloignera de son mari pour assouvir sa passion. Et c’est encore et toujours par amour que Raju, délaissant ses affaires pour Rosie, s’endettera jusqu’à la mise en vente de la demeure familiale. Par amour toujours que Raju, devenu l’impresario de Rosie la danseuse, enlèvera la belle et devra s’acquitter de deux années d’emprisonnement. Dès sa sortie de prison, alors qu’il s’est arrêté pour se reposer près d’un temple désaffecté, Raju croise le villageois Velan qui, par méprise, le prend pour un saint homme. À contrecœur et seulement pour éviter la disgrâce qui l’attend auprès de la population de son village, l’ancien guide touristique accepte d’endosser cet inopiné rôle de guide spirituel. Tout naturellement, Raju se met à accepter les offrandes quotidiennes en nourriture de la population et devient peu à peu le conseiller de la communauté. L’imposture suivra tranquillement son cours jusqu’au moment où, pour lutter contre la sécheresse, Raju devra jeûner douze jours devant les villageois réunis pour l’observer face à l’épreuve. Pour la première fois de sa vie, bravant les dangers au péril de sa santé et n’écoutant plus l’appel de ses anciennes sirènes (femmes et argent), il répondra pleinement et en véritable sage au destin qui lui a été confié. Vous l’aurez compris, Le guide et la danseuse est le roman de la rédemption. Le Raju, guide touristique amoureux, impulsif et sans scrupules se transformera en un Raju, guide spirituel, réfléchi, posé, prudent et discipliné. Au fil des discussions, des méditations et des nombreux flash-back aux riches évocations, la métamorphose s’opère en douceur. La force suggestive de Narayan et la dextérité de ses constructions rhétoriques confèrent à ce conte moderne la dimension des plus grands textes indiens contemporains. Que la carrière de saint homme de Raju soit rapportée à la troisième personne, tandis que ses aventures cupides et affairées d’avant son incarcération le sont à la première, n’est évidemment pas anodin. Le dualisme littéraire n’est ici que le reflet du dualisme intime du personnage. Subtil et raffiné, Narayan échappe à tout manichéisme et brosse un personnage qui n’est jamais tout à fait un pècheur, jamais tout à fait un salaud et jamais tout à fait un saint, mais toujours un personnage fort sympathique. À travers la conversion de Raju, et bien au-delà du passage par une case prison bien peu rédemptrice, c’est toute la symbolique du Bien et du Mal que développe l’auteur. Chef-d’œuvre flamboyant de la littérature indienne, Le guide et la danseuse déploie toute la délicatesse de sagesses ancestrales portées par les voiles translucides et multicolores parfumés d’eau de jasmin des plus majestueuses danseuses du bharata natyam.