Littérature étrangère

Politiques de l’amour

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photo libraire

Par Daniel Berland

Pigiste ()

Né en Inde puis scolarisé en Angleterre, Lawrence Durrell traversa l’histoire et les pays où il résida avec la curiosité bienveillante des voyageurs épris d’humanité. De l’Himalaya à l’Europe, de Chypre à Alexandrie, il nous fit partager sa perception de l’histoire à travers une œuvre d’une rare puissance romanesque peuplée de personnages attachants.

Il existe des romans si extraordinaires que leur découverte embellira et marquera à tout jamais l’âme et la vie de ses futurs lecteurs. L’œuvre maîtresse de Lawrence Durrell, Le Quatuor d’Alexandrie, est l’un d’eux. Enraciné dans l’histoire, Le Quatuor d’Alexandrie est une quête de l’art en même temps qu’une quête amoureuse. Les chassés-croisés sentimentaux sur fond de préoccupations sociales et géopolitiques dans l’Alexandrie de l’entre-deux-guerres forment la colonne vertébrale de cette œuvre polyphonique de plus d’un millier de pages. Darley, personnage principal du Quatuor, semble voué à osciller en permanence entre le désir et le rejet, le bien et le mal, la constance et le caprice. Cette valse des sentiments se déploie sur le grandiose théâtre, en scène et en coulisses, de la magique Alexandrie, « comme dans un grand congrès d’anguilles enchevêtrées dans la matière visqueuse d’un complot. » Lentement, au terme d’une sorte d’initiation truffée de rebondissements, Darley apprendra l’amour et accèdera à la maturité d’homme et d’artiste. Et puisqu’il est des œuvres qu’un simple résumé déflore et appauvrit, je m’arrête ici et exhorte chacun des lecteurs de cet article à se (re)plonger dans cette époustouflante merveille de la littérature mondiale.

Écrit dans les années 1930 et interdit par son auteur à toute publication de son vivant, Petite musique pour amoureux retrace la vie d’un jeune garçon britannique, Clifton Walsh, de son enfance en Inde jusqu’à son retour dans une Angleterre qui le mettra au pied du mur de ses contradictions et des déchirements auxquels le confronte sa double culture. Ce roman d’apprentissage largement autobiographique appartenait depuis longtemps au domaine de la légende. Les initiés s’arrachaient sous le manteau les très rares tapuscrits à prix d’or, la plupart des copies de l’ouvrage ayant été détruites dans un incendie durant les bombardements de l’Axe sur Londres. De la liberté des grands espaces de son Himalaya natale jusqu’aux étroits corridors conventionnels d’une Angleterre décadente et étriquée, l’auteur, plein d’une fraîche et franche naïveté, s’y raconte en toute intimité. Un roman de jeunesse dans lequel on sent déjà poindre à chaque page le lumineux génie de l’auteur du Quatuor. La première édition française de ce texte mythique devrait constituer l’un des événements littéraires majeurs du printemps. Citrons acides a été inspiré à Lawrence Durrell par son passage à Chypre entre 1953 et 1956, alors que l’île est en pleine guerre de décolonisation contre l’Empire britannique. Très éloigné d’une démarche politique, Durrell réserve toute la maîtrise de son art à la peinture de personnages plongés dans les tourmentes de l’histoire. « Je voudrais que ce livre soit tenu pour un monument utile élevé à la paysannerie chypriote et aux paysages de l’île. » déclare l’auteur dans sa préface. Lawrence Durrell est mort en France en 1990, il aurait fêté ses 100 ans cette année. J’envie ceux qui ne l’ont encore jamais lu et sont sur le point de passer le pas en s’absorbant dans les méandres inoubliables de son œuvre.