Littérature française

London 
or Paris ?

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Par Daniel Berland

Pigiste ()

Londres et Paris, ces deux rivales légendaires et jalouses, se défient depuis toujours. Quels sont vraiment les atouts culturels, économiques et olympiques respectifs de ces deux belles et fières ennemies ? En prenant garde de ne pas déterrer pour plus de cent ans la hache de guerre, convoquons la littérature, leur meilleure ambassadrice.


So what ? Êtes-vous plutôt tea ou thé ? Big Ben ou tour Eiffel ? Pub ou troquet ? Et vos jardins, vous les préférez comment ? À l’anglaise ou à la française ? Quelques interrogations parmi tant d’autres qui pourraient vite vous révéler fervent londonien ou parisien convaincu.


Pour Paul Morand, le choix est net : c’est Londres ! Il s’y rendit à maintes reprises dès son adolescence et y consacra deux ouvrages majeurs. Entre grande Histoire et croustillantes anecdotes, cette visite commentée des lieux emblématiques ou secrets est un hymne chanté à la gloire de la capitale britannique et, à travers elle, à tout le peuple anglais. « J’aime, à Londres, ces boutiques pareilles au Vieux Magasin d’antiquités, ou à L’Antiquaire, de Dickens et de Walter Scott, avec leur clair-obscur, leur poussière, leur fouillis maléfique, leur aspect hanté. Les prix sont bien plus raisonnables qu’à Paris ou à New York. » Et Morand, que rien n’arrête, enfonce le clou : « Et nous, Français, qu’avons-nous à opposer à Westminster Abbey ? Faut-il nous enorgueillir de notre Panthéon, enfer frigorifique où gèlent éternellement les fidèles de la déesse Raison ? » Rien que ça ! Mais au fil des pages et des reproches peu diplomatiques adressés à notre chère Lutèce, c’est surtout un système politique et une renonciation à l’Histoire que dénonce ici l’académicien diplomate et londophile.


Henri Beyle (Stendhal, pour les intimes) manifeste, lui, son intérêt pour l’Angleterre avec plus de tact et de nuances. Le portrait qu’en dresse l’écrivain brille comme le reflet inversé et plus sombre de cette Italie qu’il affectionne tant. Dans Count Stendhal (philippe Rey), Renée Dénier dévoile, entre Histoire, documents et petits mots, cette liaison quasi incestueuse et tourmentée : « J’aime trop l’Angleterre. Je l’ai trop peu vue pour en parler » prétendra Stendhal, avant tout de même d’ajouter que « le suicide est le Dieu du pays ». Car pour ce « Sudiste » amoureux de l’Italie, ces « Nordiques » anglais sont bien trop tristes, bien trop gâtés par le travail, la cupidité et la religion. L’Angleterre, c’est pour Stendhal, l’image d’un père froid et peu avenant qu’il oppose à celle d’une mère (l’Italie) douce, rêveuse et aimante.


Après un long périple de douze mois à travers les principales places financières mondiales, Douglas Kennedy (Combien ? Belfond) s’en retourne à son point de départ, Londres. Ici, l’alouette « sterling », avec quelques plombs dans les ailes, s’effraie en son miroir : « Dans le Londres d’aujourd’hui, quand les gens évoquent les années 1980 et leur éthique ultra-consumériste, ils adoptent presque un ton d’historien, comme s’il s’agissait d’une ère depuis longtemps révolue, d’un souvenir lointain » La crise serait-elle devenue le révélateur de la morosité britannique si chère à Stendhal ? « Je suis revenu dans une capitale britannique en plein désarroi économique. La récession battait son plein, à la City les licenciements étaient devenus monnaie courante et nombre d’acteurs du miracle financier d’hier se disaient qu’il devait faire froid sur le trottoir… »

Tout le monde ne se laisse pourtant pas intimider par la froideur des trottoirs londoniens. Et à l’instar du rêve américain, réussir à l’anglaise dans la capitale britannique demeure fascinant. (ndlr : Soulignons quand même que si les trottoirs parisiens peuvent parfois surprendre, ce n’est pas non plus du fait de leur chaleur excessive en hiver... Simple souci d’objectivité.) Lorsque Régis Franc annonça à ses proches qu’il partait s’installer avec femme et enfants de l’autre côté de la Manche, il constata quel genre d’effet produit ce type de déclaration : « Heureux loin de Paris ? Des jolies boucles de la Seine ? De cette tendre ville où, le soir venu, l’on se poudre, où l’on dessine sur sa joue la mouche ravageuse pour aller dire des horreurs poilantes, des blagues saignantes autour de tables de fêtes ? Quoi ? What ? Tu plaisantes, Vicky ? Are you kidding, Charlie ? Non, non, quitter Paris ? N’y pense pas. Impossible. L’esprit français, my darling, it’s so unique ! » Dans ce London Prisoner à l’humour grinçant, l’auteur nous fait partager le quotidien d’un expatrié contrarié, confronté tout à la fois aux prix prohibitifs des loyers, à une certaine culture du bling-bling et à une collection de caricatures, certes déroutantes, « … but so british ! ». Cependant, loin des yeux près du cœur, c’est dans ce brouillard londonien que l’auteur renouera avec les fantômes de ses racines.


Que vous vous rendiez prochainement à Londres, pour quelques jours ou plus, pour assister aux Jeux Olympiques ou pour un tout autre motif, ces ouvrages devraient vous être d’une grande utilité. Tout comme ce petit carnet de voyage, Londres en Cosmopolite, que nous offrent les éditions Stock. Avec, côté face, trois nouvelles pour vous plonger dans le Londres des écrivains : Moshe Sakal nous entraîne sur les pas d’une grande histoire d’amour au London Park, Jon Bauer nous révèle un Londres contemporain individualiste mais capable de belles surprises et Emma Donoghue nous transporte avec volupté dans le Londres du xixe siècle. Enrichi, côté pile, de quelques bonnes adresses originales astucieusement sélectionnées pour agrémenter votre séjour, ce joyeux petit carnet rose vous permettra aussi de noter vos bonnes (ou moins bonnes) expériences londoniennes.


Une fois de plus, comme toujours, c’est la littérature qui parviendra à réconcilier les capitales jumelles : grâce à Oscar Wilde, pour qui Londres et Paris demeuraient les plus belles villes au monde, mais qui, rappelons-le, finira ses jours en exil dans la seconde.

Paris ou Londres ? | Paris, qui n’a pas remporté 
les jeux olympiques, vaut bien un article ! Tandis que la Lutèce romantique, bohème et rêveuse fascine, certains de ses détracteurs (d’outre-Manche) voient en elle une ville endormie, brouillonne et arrogante. À Paris, ce sont souvent les artistes qui mènent 
la danse, et tout particulièrement les écrivains.


Deux jeunes hommes brûlent leur vie de bohème au sein du Montmartre populaire des années 1930. Fauchés, ils expérimentent l’écriture, l’amour, le sexe et toutes les aventures qu’offrait la pittoresque capitale d’avant-guerre. Joey, l’Américain (derrière lequel se cache Henry Miller), et Carl, le Tchèque, se partagent un quotidien de dèche, de chambre et de filles faciles. Car si Londres est la « City » des traders, Paris est celle des filles. De celles qu’ils croisent entre Montmartre et la place Blanche, dans le recoin d’une ruelle sombre ou dans l’arrière-salle d’un bar louche. Ils y rencontrent, entre autres, Nys la délicate, Colette l’ingénue, Jeanne la nymphomane… Loin des clichés de cartes postales pour touristes pressés, le Paris de Miller est celui d’un jeune homme qui s’y baigne, s’y fond et s’en imprègne. Le Paris de Miller n’a rien de glamour : c’est un Paris gris, aux habitants peu avenants et aux filles (occasionnelles ou pas) qui ne se donnent pas gratuitement. À vrai dire, les « jours tranquilles à Clichy », souvent excessifs et parfois sulfureux, ne sont pas si tranquilles… Même s’ils n’empêcheront pas, plus tard, Henry Miller de dire : « Quand je repense à toute cette période où nous vivions ensemble à Clichy, j’ai le souvenir d’un petit séjour au paradis ». 


Qu’elles soient publiques, ingénues ou égéries, ce sont les femmes qui détiennent les clés de la capitale des Gaules. Captivant personnage que cette « inconnue de la Seine » devenue fantasme artistique et populaire à partir du masque mortuaire d’une jeune femme retrouvée noyée dans la Seine. Aragon, Rilke, Supervielle, Palahniuk, Blanchot, Céline, Anaïs Nin, Nabokov pour ne citer qu’eux, se sont passionnés pour les légendes, les anecdotes et les rumeurs plus ou moins sérieuses qui enveloppèrent le linceul de cette mystérieuse égérie. Cette fascinante inconnue symbolise à merveille Paris et semble la représenter : magique, envoûtante et secrète. À ce titre, la réédition du premier roman de Didier Blonde est une excellente surprise : parce que le moulage de cette inconnue ressemble étrangement à sa Marie, le « Simon » de ce roman part en quête de son origine et de son histoire jusqu’à ce que le leurre devienne obsession.


Le Paris que nous propose Xavier Boissel est saisissant. L’auteur nous conte la visite d’un Paris qui, bien que souhaitant être Paris, ne se situe pas à Paris… Me suivez-vous ? Paris est un leurre revient sur les traces de ce projet imaginé à la fin de la Première Guerre mondiale, projet à la fois fou et très sérieux, de construire un leurre pour tromper les aviateurs allemands. Le projet pharaonico-stratégique, entrepris mais resté inabouti, consistait à reproduire artificiellement, aux alentours de Maisons-Laffitte, certains des éléments les plus emblématiques de la capitale : un bras de Seine, la place de l’Étoile et celle de l’Opéra, les grands boulevards, des péniches en mouvements… La description de cet incroyable projet est passionnante, mais plus encore l’hétérotopie et l’utopie conduisant à l’uchronie. Présenter et visiter Paris là où elle n’est pas, croire apercevoir les lieux mythiques où ils n’ont jamais été, constituent, pour celles et ceux qui apprécient les sentiers buissonniers de la rêverie et de la déraison une expérience littéraire saisissante. 
 « Le soir même, alerté par Didier et Gaspard, je scrute longuement jusque tard dans la nuit, la carte IGN. Je songe à Aldo, le héros du Rivage des Syrtes, “ englué dans une immobilité hypnotique ” : au milieu d’un champ jouxtant l’autoroute A3, traçant une ligne oblique par rapport à lui, le “ chemin d’accès à l’ouvrage de Marlu (sic) ” mène à une tache d’un vert clair, dénommée “ ancien fort ”, située dans le périmètre où l’on édifia l’embryon du faux Paris. Sur Google Earth cette petite tache prend la forme plus précise d’une figure géométrique stylisée, écrasée de bas en haut, cet aplatissement lui conférant un aspect oblong. » Il y a comme une petite musique de Pérec dans le travail de Boissel… Mais qui s’en plaindrait ?
 Londres, la petite sœur, peut-être… Des femmes, de l’amour, du sexe, de la dèche, du fantasme et du leurre, à quoi tout cela peut-il servir ? Peut-être à attirer, passionner et inspirer des Hemingway, Miller, Nin, Lawrence, Joyce, Wilde... Et tant d’autres !


Se nicherait-elle là, cette vieille querelle des sœurs jumelles ? La rigoureuse londonienne vénérant l’argent, le pouvoir et les contingences, contre l’étourdie parisienne qui préfère s’adonner à la rêverie, à l’aventure et au romantisme ? Mais si Paris s’imprégnait de la tolérance et du pragmatisme londonien et que Londres se relâchait un peu en se laissant davantage vivre et rêver ? Enfin, moi je dis ça, mais je ne dis rien.