Littérature étrangère

Jakob Guanzon

Abondance

illustration

Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Construit comme le meilleur des polars, ce roman aux allures de brûlot social sur fond d’Amérique en crise ravive et, de quelle manière, la figure du perdant magnifique si chère à Leonard Cohen.

Henry emmène son fils Junior fêter son anniversaire au McDonald’s. Quoi de plus banal ? Si ce n’est qu’Henry se lave dans les toilettes. Si ce n’est qu’Henry est au cents près. Si ce n’est qu’Henry et Junior dorment dans leur voiture et cela visiblement depuis quelque temps déjà. Mais le vent semble vouloir tourner et pour une fois dans la bonne direction : Henry a un entretien d’embauche le lendemain. Aussi, en plus de ce repas, il a décidé de leur offrir une nuit dans un motel, une nuit qui représente ce qu’il appelle « la perspective du confort », pour mettre ainsi un maximum de chances de son côté et parachever sa préparation, ce rendez-vous ayant des allures de dernière chance. À partir de cette scène d’ouverture déjà étouffante – Abondance ne laisse que peu de place à la respiration –, le récit s’ouvre en deux : d’un côté le présent avec le suspense vite implacable qui se dessine autour du fameux entretien à venir et, de l’autre, des remontées successives dans le passé d’Henry à différentes époques de sa vie, pour que nous comprenions par bribes comment cet homme a pu en arriver là. La structure du livre, d’une grande fluidité, malgré la variété des flash-back et leur différente temporalité, se révèle vite impressionnante et ne fait qu’alimenter un petit peu plus encore la tension qui monte le long de chapitres qui ont pour intitulé la somme d’argent qu’à Henry en poche à l’ouverture de ceux-ci (nous commençons avec 89,34 dollars). Le style de Jakob Guanzon, d’une grande acuité, se montre à la hauteur des prétentions affichées avec un sens de l’image, du personnage et de l’action d’une maîtrise étonnante pour un premier roman : résultat Jakob Guanzon a décroché une place en finale du National Book Award et se révèle être un auteur dont il nous faut déjà retenir le nom.

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