Bande dessinée

Rochette

La Dernière Reine

illustration

Chronique de Coralie Sécher

Librairie Coiffard (Nantes)

Découvert avec Transperceneige puis admiré pour la force de son histoire personnelle dans Ailefroide, Jean-Marc Rochette livre, après Le Loup, un récit d'une grande intensité, sensible et tendre qui mêle l'histoire éternelle de la montagne et la rencontre – si fugace soit-elle, au regard de l'humanité – d'un homme et d'une femme.

 

L'album commence en 1898 dans le Vercors. L'ours a été tué ; il semblerait qu'il soit le dernier survivant d'une longue lignée. Souvent traquée, la bête a été abattue, au grand soulagement des villageois. Au même moment, Édouard, un petit garçon est moqué et appelé « le fils de l'ours ». Sa mère vit en effet seule au milieu des montagnes. On leur reproche de trop aimer les animaux, la nature et les bêtes sauvages qui rôdent. Cette femme, cette sorcière, semble communier avec les esprits de la montagne et avec les générations précédentes d'ours et de loups, comme si la mémoire des rencontres entre hommes et animaux étaient encore palpables. Sur la place du village, l'ours mort reçoit des jets de cailloux, des crachats : il est l'affront enfin lavé de plusieurs générations. Au récit de cet ours tué se mêlent d'autres histoires. Elles sont en réalité celles de l'humanité. Tout commence il y a plus de 100 000 ans : la chasse, le sauvage, la beauté grandiose de la nature et des animaux qui vivent ensemble, au gré de leur survie. Et puis, au côté de cette histoire vieille comme le monde, Rochette nous raconte celle d’Édouard Roux, le fils de l'ours, celui qui n'acceptera jamais de n'avoir pu sauver la dernière reine, le dernier ours du Vercors. En 1917, il rentre de la guerre, seul rescapé d'une tranchée. Il paiera sa survie de la moitié de son visage et de sa mâchoire. Gueule cassée, gueule béante, il décide de rester à Grenoble pour ne pas effrayer ceux qui le connaissent depuis toujours. Édouard Roux ne sera alors jamais plus le même. Lorsque plus rien ne semble le retenir au monde des vivants, il rencontre Jeanne Sauvage, une artiste de la butte Montmartre qui travaille un matériau proche du cuir et fabrique des masques pour les visages des soldats revenus défigurés du front. Édouard Roux choisit d'arborer le visage d'un Kouros grec, à l'image d'Héraclès, la personnification de la force. Jeanne va modeler, admirer et tomber amoureuse de ce visage et de l'homme qui le porte. Très vite, il se retrouve mêlé au Paris des artistes des années 1920 et découvre un monde qu'il ignore tout à fait. Au contact de cet homme très différent de ceux qu'elle a connus jusqu'alors, Jeanne va sculpter une œuvre exceptionnelle qui sera la création majeure d'une exposition. Ensemble, en manque de liberté et de nature, ils vont redécouvrir la montagne, admirer les grandeurs et se sentir minuscules face à l'immensité de ce qui les entoure. Rochette livre, avec La Dernière Reine, un récit d'une grande intimité. On peut imaginer qu'il y a glissé une partie de son âme, de celle des loups et des ours. Cet album est puissant, intemporel et ne peut qu'être source d'humilité.

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