Essais

Annemarie Schwarzenbach

De monde en monde

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photo libraire

Chronique de Catherine Florian

Librairie Violette and co (Paris)

Annemarie Schwarzenbach, écrivain à la beauté sombre et fascinante, cet « ange dévasté » , pour reprendre une formule de Thomas Mann, sillonna la planète en quête d’elle-même, mais surtout dans le dessein de « prendre part » au monde.

Catherine Pozzi a dit à propos d’Annemarie Schwarzenbach, qu’en la voyant, on ressentait « le mal d’Europe » . Ce mal, en effet, la tarauda durant sa courte vie. La lecture de ses écrits nous permet de comprendre à quel point l’a ravagée sa lucidité sur le désastre collectif que représentait le triomphe du fascisme et la déliquescence des démocraties. Issue d’une famille de riches industriels zurichois, elle n’en partagea pas les idées conservatrices qui allaient jusqu’à soutenir Hitler. Elle n’eut de cesse de fuir ce milieu familial étouffant, à l’opposé de ses convictions, sans pour autant parvenir à s’en détacher complètement. Cette déchirure profonde la poussa sans doute sur les routes. Entre 1933 et 1942, elle parcourut le Proche-Orient (Syrie, Irak, Perse), l’Afghanistan avec Ella Maillart, les États-Unis de la Grande Dépression, l’Europe de l’Est en proie au nazisme, le Portugal, le Congo, le Maroc. Après tous ces voyages périlleux, ironie du destin, elle mourut en 1942 d’une chute de vélo dans sa Suisse natale. Elle avait 34 ans. Corps et âme torturés, elle se consacra à la littérature en produisant des œuvres empreintes de gravité et de lyrisme. Elle réserva la partie lumineuse de son être à un considérable travail journalistique moins connu. Nous pouvons le découvrir grâce à la présente édition : soixante articles sont présentés, sur près de 300 publiés. Ses reportages documentés, accompagnés de photographies, attestent d’une grande érudition. L’écriture est limpide et fluide. Ses textes offrent des descriptions vivantes des paysages et des populations. Ils sont également engagés, les analyses politiques et sociales sont percutantes et d’une grande acuité. Elle évoque des sujets aussi variés que la situation d’une minorité chrétienne en Perse, celle des Blancs pauvres des États américains du sud ou l’antisémitisme en Allemagne. Elle se rangea toujours du côté des exploités et des persécutés. Désespérée, elle ne cessa néanmoins jamais de lutter et de résister.