Littérature française

Véronique Ovaldé

Quatre cœurs imparfaits

illustration
photo libraire

Chronique de Catherine Florian

Librairie Violette and co (Paris)

Ce bel objet inclassable, Quatre cœurs imparfaits, avec Véronique Ovaldé à la plume et Véronique Dorey au crayon, montre brillamment comment deux langages, écrit et visuel, peuvent élaborer un récit où chaque mode d’expression devient indissociable de l’autre, et construire un univers commun.

Véronique Ovaldé est devenue très connue des lecteurs depuis le succès considérable de Et mon cœur transparent (L’Olivier) en 2008, puis de Ce que je sais de Vera Candida (chez le même éditeur) en 2009. En huit romans, un recueil de nouvelles et un livre pour enfants, elle s’est imposée dans le paysage littéraire avec un style bien à elle, qui sait jouer des contrastes. D’une écriture légère, juste et précise, ses histoires évoluent dans une atmosphère oppressante mais empreinte d’humour, réaliste mais touchant au fantastique. En quelques phrases, tout un monde apparaît et s’installe. Toujours en un lieu non désigné, mais reconnaissable, comme « quelque part en Amérique latine », toujours en un temps non précisé, mais identifiable, comme « au milieu du xxe siècle ». Le récit prend la forme d’un conte initiatique destiné aux petites filles. Elles sont incitées à ne pas trop écouter les adultes, à fuir s’il le faut pour conquérir leur liberté et ne pas devenir sujettes d’un avenir que l’on réserve à leur sexe. Les liens familiaux peuvent tisser des refuges ou des entraves, elles doivent en juger par elles-mêmes. L’amour n’est pas obligatoirement synonyme de sacrifice, il peut être pluriel et changeant. Il ne doit surtout pas être morbide, culpabilisant et glacial, mais au contraire vivant, réconfortant et chaleureux. Grandir ne signifie pas, pour elles, fatalement, se transformer en une sainte morte, une vierge folle ou une putain victime. Quoi qu’il en soit, la liberté n’est pas donnée, elle se conquiert, affirme de livre en livre Véronique Ovaldé. De façon concise, la romancière y revient avec ce bref opuscule, élaboré avec la complicité de l’illustratrice Véronique Dorey. Cette dernière y magnifie le dessin en noir et blanc, alors qu’elle s’est longtemps consacrée à un travail de coloriste dans la bande dessinée. À la manière de Gustave Doré illustrant les fables de notre enfance, ses compositions « à l’ancienne », disposées en regard du texte ou en pleine double page, nous projettent dans un monde onirique et étrange. Ses images sont à la fois sombres et tendres, drôles et féroces. Les deux créatrices parviennent à détourner malicieusement les clichés de la culture latino-américaine et des livres édifiants pour la jeunesse. Les libraires vont sans doute ne pas savoir où ranger cette publication dans leurs rayonnages. Je remercie et félicite néanmoins les éditions Thierry Magnier de participer à mettre du trouble dans les genres.