Polar

Sam Millar

On The brinks

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photo libraire

Chronique de Jérôme Dejean

Librairie Les Traversées (Paris)

On The Brinks est un polar à la fois drôle, touchant et politique ; dingue, attachant et poétique. On The Brinks est beaucoup plus qu’un polar comme les autres. Il est l’histoire incroyable et pourtant vraie d’une vie, celle de Sam Millar, irlandais de cœur et d’âme, homme intègre et grand écrivain.

Cher Sam, La première fois que nous nous sommes rencontrés, c’était au quatorzième Festival International du Roman Noir de Frontignan en 2011. Tu avais été invité après la publication en France de tes deux premiers romans traduits chez Fayard Noir : Poussière tu seras et Redemption Factory. Le thème du festival cette année-là était les métamorphoses du héros. Avec le recul et à la lecture de ton dernier ouvrage, On The Brinks, traduit par le fidèle Patrick Raynal, je me rends compte à quel point ce thème était parfaitement approprié, voire prémonitoire. Du moins pour le lecteur français. Je me souviens que j’avais apprécié tes deux premiers romans, où la noirceur la plus crue – Redemption Factory se passe en partie dans un abattoir – le disputait à un sens de l’humour typiquement irlandais. La première fois que nous nous sommes parlé, c’était à peine quelques mots échangés. On avait bavardé du temps – chaud, évidemment, puisque le festival se déroule la dernière semaine de juin –, de tes livres, de voyage… Pendant le reste du festival, tu as été aimable, sympathique, à l’écoute, généreux avec les lecteurs, passionnant durant les conférences. Pourtant, tu me semblais par moment absent, un peu comme si ton regard voyait toujours un peu plus loin, au-delà des choses. Mais lesquelles ? La réponse est contenue dans On The Brinks, étonnant roman noir autobiographique dans lequel tu te mets à nu comme rarement un auteur l’a fait. Tu te racontes, tu nous racontes cette histoire absolument incroyable mais vraie d’un petit gars né à Belfast à la fin des années 1950, jusqu’à ta libération de prison, la deuxième, à la fin des années 1990. Entre ces deux dates, on aura grandi avec toi dans Lancaster Street, appris à connaître ton père Big Sam, pris en pleine gueule les tensions entre les communautés catholiques et protestantes, participé presque par hasard à une manifestation pacifique à Derry, un sanglant dimanche de 1972, lu un entrefilet dans un journal annonçant l’assassinat de ton copain d’enfance Jim Kerr. Et puis ton incarcération à la sinistre prison de Long Kesh et ton refus, comme d’autres, de te soumettre. Tu allais alors devenir un de ses Blanket Men, ces « Hommes à la couverture », parce que vous refusiez de porter l’uniforme carcéral. Et puis les huit années d’humiliation, de torture, de privations et les grèves de la faim qui aboutiront à la mort de Bobby Sands et de quelques autres. Des années d’effroi racontées avec un humour ravageur qui permet, malgré l’horreur, de garder l’espoir. Te voilà enfin libéré, destination le Nouveau Monde, le Queens, des petits boulots, une existence qui semble enfin prendre une voie normale, en apparence du moins, et une idée folle, celle d’un braquage avec des flingues en plastique : celui des entrepôts de la Brinks à Rochester. À la clé, le cinquième plus grand casse de l’histoire des États-Unis. Une enquête, les fédéraux, l’argent qui disparaît et un procès digne d’Hollywood et puis... C’est une vie, c’est ta vie, c’est un précieux cadeau que de l’avoir partagée. J’attends la suite. À bientôt.

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