Beaux livres

Martine Ravache , Martine d’Astier

Lartigue, la vie en couleurs

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photo libraire

Chronique de Claudine Courtais

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Quand on pense à Jacques-Henri Lartigue, on imagine ce jeune homme fortuné, pionnier d’une photographie joyeuse d’un monde révolu, capté sous le prisme du noir et blanc. Mais derrière cette réalité se cache un grand coloriste à la personnalité attachante, que nous révèle cet excellent catalogue d’exposition.

Né en 1894 dans une des plus riches familles de France, Jacques Lartigue, porté par un père passionné par les nouvelles découvertes de la fin du xixe siècle et plus particulièrement la photographie qu’il pratique en amateur, découvre très jeune ce nouveau médium qu’il ne cesse d’exploiter jusqu’à sa mort en 1986, devenant ainsi un des plus grands photographes du xxe siècle. À 8 ans, son père Henry lui offre son premier appareil, une chambre 13 x 18 qui va lui permettre de consigner cliché après cliché tout ce qui se passe autour de lui. Jacques va très vite ranger ses photographies dans de grands albums et commencer à tenir un journal qu’il poursuivra toute sa vie, devenant, à son insu, un témoin de son temps et de son milieu social. Toujours à la pointe, Henry lui remet très vite un appareil plus compact à même de figer la vitesse et de prendre toutes ces photographies sur le vif devenues aujourd’hui célèbres. Élevé à l’écart des contraintes matérielles, avec le bonheur comme précepte d’existence, Jacques se forme à la peinture et décide qu’il en fera son métier. Ainsi, riche de ces trois moyens d’expression que sont la photographie, l’écriture et la peinture, il avance dans la vie avec parfois peu de moyens – sa famille ayant connu des revers de fortune –, mais auprès d’amis aisés qui lui permettent de continuer à évoluer dans un milieu protégé. Si son souhait est d’être reconnu comme peintre, c’est le fruit d’une rencontre aux États-Unis qui le fait reconnaître comme photographe en 1963. Le jeune directeur du Département des photographies du MOMA de New York voit dans ses clichés une grande modernité et lui organise une exposition. S’ensuivra un portfolio dans Life. C’est la consécration, il a alors 69 ans. Aujourd’hui, beaucoup connaissent ces images en noir et blanc qui ont fait sa célébrité, mais peu savent que plus de la moitié de son travail photographique a été réalisé en couleur. Dès 1912, alors que le procédé d’autochrome des frères Lumière n’a pas dix ans d’existence, le jeune Lartigue devient un pionnier de la photographie couleur. Pendant 15 ans, parallèlement à une pratique du monochrome, il utilise cette technique qui lui permet de capter encore plus de vérité. Contrairement aux pictorialistes américains tels Steichen ou Stieglitz, qui s’inscrivent dans une démarche purement artistique de la photographie couleur, Jacques Lartigue utilise cette couleur avec la même spontanéité que le noir et blanc, compensant la faiblesse du procédé – incapable de capter le mouvement, notamment – par une fraîcheur dans la composition, faisant poser ses amis et ses amours dans une nature ou un environnement spontanés et choisissant sa palette de couleurs à la manière d’un peintre moderne. Malheureusement, très rapidement après le tirage des épreuves, les couleurs s’altèrent, s’éloignent de la vérité. Lassé de ne pouvoir garder la pleine expression de ses choix de coloriste, il abandonne le procédé en 1927. Ce n’est que vingt ans plus tard qu’il reviendra à la couleur, utilisant 6 x 6 et 24 x 36 équipés de la pellicule ektachrome à laquelle il restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie pour la subtilité de ses tons. Dans une mise en page impeccable, accompagnée des textes éclairants de Martine d’Astier et Martine Ravache, co-commissaires de l’exposition organisée à Paris à la Maison européenne de la photographie du 24 juin au 23 août 2015, cet ouvrage vient honorer un pan méconnu de la carrière artistique de cet exceptionnel photographe que reste Jacques-Henri Lartigue.