Polar

Lori Roy

J’irai mourir sur vos terres

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photo libraire

Chronique de Jérôme Dejean

Librairie Les Traversées (Paris)

Alors que les éditions du Masque fêtent leur 90e anniversaire, la cohorte des classiques aux couvertures jaunes ou parfois illustrées et les auteurs emblématiques de la collection laissent la place, pour un temps, à deux jeunes auteurs américains. Une révélation et une confirmation.

La jeune fille qui disparaît et le fantôme du passé qui réapparaît sont deux thèmes classiques dans le roman policier. Mais dans un cas comme dans l’autre, nos deux auteurs sont parvenus à transcender les codes du thriller et du roman gothique pour apporter leur propre voix. Quelque part entre le chemin escarpé de la surenchère et le champ balisé des conventions et du déjà-vu, Lori Roy et Tim Johnston ont su chacun à leur manière contourner les pièges qui leur étaient tendus en donnant à leur roman des accents de tragédie antique et en multipliant les points de vue et les époques. Car le point commun de ces deux romans très différents sur le fond, la période, le lieu, les thèmes abordés, le style ou bien encore la narration, c’est de s’intéresser, non pas au crime en lui-même, mais à ses conséquences. La Descente, de Tim Johnston, premier roman traduit de l’auteur, est une réussite. Une famille, les Courtland, passe leurs vacances d’été dans un chalet au cœur des montagnes Rocheuses. Caitlin, dix-huit ans, sportive accomplie, se lève aux petites lueurs de l’aube et entraîne son jeune frère, Sean, sur les chemins bordés de conifères pour un jogging matinal. Lui seul va être retrouvé, amoché et hospitalisé. Dès lors, la cellule familiale, qui avait déjà du plomb dans l’aile, va voler en éclats. Le père s’installe sur place, afin d’aider les enquêteurs. Les jours deviennent des semaines puis des mois. La mère, tenue à distance, s’effondre peu à peu, hantée par une première disparition, la mort de sa sœur jumelle. Le jeune frère grandit et tente de se reconstruire. Et il y a Caitlin, bien vivante mais retenue prisonnière… Avec J’irai mourir sur vos terres, Lori Roy, dont c’est le troisième roman, confirme tout le bien qu’on pense d’elle et de son écriture. Là encore, il s’agit d’une histoire de famille. Un roman qui n’est pas sans évoquer la grande tradition des romanciers du Sud des États-Unis : Harper Lee, Flannery O’Connor ne sont pas si loin. Thomas H. Cook également, pour cette capacité à transcrire deux périodes et à tisser des passerelles entre les deux afin de révéler l’intrigue petit à petit. Une histoire, deux époques, la fin des années 1930 et le début des années 1950, deux familles et un drame pour les lier pour l’éternité. Une condamnation à mort, un crime, un mensonge. Il empoisonne le quotidien comme l’eau d’un puits l’est par un cadavre jeté au fond. Les faux-semblants vont s’estomper, la vérité se révéler, pleine d’amertume. Deux romans, deux intrigues finement ciselés, mais également un autre point commun : la nature, comme personnage à part entière. Dans La Descente, c’est frontal, avec les montagnes, celle des mythiques Rocheuses et une forêt qui semble vivante, à la fois alliée et ennemie inquiétante, celle d’un conte de fées. Plus pernicieux dans le roman de Lori Roy, c’est un champ de lavande, son odeur entêtante, presque écœurante, et sa couleur pastel qui se teinte de rouge sang. Enfin, une grande question parcourt ces deux romans pourtant très différents, celle de la culpabilité de ceux qui restent. Tel est l’enjeu de ces récits : creuser au-delà des apparences. Alors bas les Masques !

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