Littérature étrangère

Hanya Yanagihara

Vers le paradis

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Chronique de Juliet Romeo

Librairie La Madeleine (Lyon)

Hanya Yanagihara nous revient, après Une vie comme les autres, avec un magnifique roman fleuve dystopique de plus de 800 pages, Vers le paradis, dans lequel elle évoque les angoisses de notre société sur trois époques différentes, entre New York et Hawaï. Un récit aussi déroutant qu’envoûtant.

Hanya Yanagihara nous avait éblouis en 2018 avec Une vie comme les autres (Buchet Chastel) dans lequel elle narrait l’amitié entre quatre personnes dont Jude qui dévoilait, sur 1 000 pages, son passé violent et douloureux, tout en interrogeant les limites de l’amitié. Dans Vers le paradis, elle s’attache encore à décrire et explorer les relations humaines mais dans un registre dystopique. Dans la première partie du récit, se déroulant en 1893, on découvre un New York au cœur d’un pays nommé États Libres et composé de plusieurs états des États-Unis devenus indépendants. Ici, une seule notion est au cœur de la vie : la liberté de mœurs. Parmi les fondateurs de ce pays se trouve le grand-père Bingham, patriarche d’une famille de banquiers. Si deux de ses petits-enfants ont fondé des familles homoparentales, l’aîné, David, qui évoque le héros souffreteux de Marcel Proust, ne réussit pas à trouver de compagnon. Car si le genre n’est pas un problème, la couleur de peau, l’âge et le statut social sont des critères discriminants. Dans la seconde partie qui se déroule en 1993, c’est toujours à New York, dans le même quartier de Washington Square, que nous retrouvons un autre David, en couple avec un avocat bien plus âgé, Charles. Le VIH y sévit, tuant sur son passage les amis de Charles, comme on l’apprend à travers une fête d’adieu d’un certain Peter. En parallèle, c’est à Hawaï que l’autrice nous emmène, sur les traces de la famille de David, une famille royale déchue. Dans cette époque encore, le statut social, la couleur de peau, l’âge jouent sur les relations humaines. Enfin, la troisième partie se déroule en 2093, toujours à Washington Square, dans un futur où tout est contrôlé, les déplacements, les opinions, la nourriture. Ici, c’est une technicienne de laboratoire que l’on suit, petite-fille d’un des fondateurs d’un hôpital qui a permis de combattre des pandémies successives. Le paradis est encore loin dans ce 2093 où la population a fait le deuil de sa liberté au profit d’un système sécuritaire. Là où le genre dystopique peut se perdre dans des descriptions, Hanya Yanagihara fait le choix de la suggestion. C’est au lecteur d’imaginer le quotidien des personnages mais aussi leurs liens à travers les époques, qui ne se limitent pas à leur prénom. Vers le paradis est un roman dense, juste, bouleversant, labyrinthique dans lequel l’autrice nous invite à nous perdre pour mieux avoir le temps de réfléchir à ces paradis perdus.

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