Littérature étrangère
Roberto Saviano
Giovanni Falcone

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Roberto Saviano
Giovanni Falcone
Traduit de l'italien par Laura Brignon
Gallimard
06/02/2025
606 pages, 25 €
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Chronique de
Michel Edo
Librairie Lucioles (Vienne) - ❤ Lu et conseillé par 27 libraire(s)
✒ Michel Edo
(Librairie Lucioles, Vienne)
Des essais, des biographies sur la vie du juge Falcone il y en a eu, beaucoup, mais personne ne s'était attaqué à en faire une figure romanesque. Alors qui d'autre que Saviano, l'auteur de Gomorra, pour relater les combats et les doutes de cette personnalité emblématique de la lutte antimafia ?
Tous les Italiens de plus de 50 ans se souviennent de ce jour de mai 1992, lorsque 200 kilos de TNT explosèrent sur le passage de Giovanni Falcone, pulvérisant sa voiture. Début ou fin de l'histoire, l'avenir le dirait, mais ce que le juge antimafia pressentait depuis toujours venait de se réaliser. Saviano décide de faire commencer son roman par une autre explosion, celle qui coûta la vie à la famille de Toto Riina, célèbre chef mafieux et commanditaire du meurtre de Falcone, quelque cinquante ans plus tôt, le laissant miraculé, orphelin de père, avec peut-être un sentiment d'invincibilité ou la certitude que tout peut basculer en une fraction de seconde. Ce qui revient au même. Falcone arrive sur la scène judiciaire antimafieuse à la fin des années 1970. Il est brillant, acharné et surtout il balaie les vieilles méthodes pour se concentrer sur ce qui deviendra le système Falcone : suivre les flux financiers plutôt que les petites frappes. Lui vient un jour l'idée de retourner un chef mafieux contre les siens. Il rencontre Buschetta, trafiquant, meurtrier, membre autrefois influent de Cosa Nostra en fuite au Brésil. À l'issue d'un bras de fer intellectuel, il finira par faire de cet homme un des plus importants repentis de son époque. Surtout, il dévoile au grand jour les codes et les rouages de Cosa Nostra. La pieuvre n'est plus un fantôme, elle a un visage, une structure. Elle est attaquable. C'est un vaste réseau labyrinthique partant du village de Corleone et étendant ses ramifications jusqu'aux États-Unis. Le point d'orgue de son travail sera les « maxi procès de Palerme » qui aboutiront à la condamnation de plus de 300 mafieux. Mais le juge Falcone est un homme empêché, un homme seul. Il sait la corruption généralisée d'une partie du corps politique. Les journaux sont contre lui, l'opinion publique partagée, le monde judiciaire, parfois, par jalousie également. Il sait qu'il est un mort en sursis et qu'un jour ou l'autre la balle qui lui est destinée l'atteindra. Alors, entre temps, il travaille comme un fou, il vole de loin en loin quelques moments heureux avec son épouse, ses enfants, ses amis. Saviano est journaliste, alors ne cherchez pas l'erreur ou l'approximation, vous ne la trouverez pas, mais laissez-vous embarquer par l'intensité tragique qu'il insuffle à son texte, puisqu'il s'agit bien de cela. La vie de Falcone n'a été que ça, une partie d'échecs qu'il a joué en sachant qu'il mourrait à la fin. Son espoir résidait dans le fait que d'autres prendraient sa place pour continuer son combat.