Littérature étrangère

Jeet Thayil

Narcopolis

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photo libraire

Chronique de Michel Edo

Librairie Lucioles (Vienne)

Bombay. C’est avec ce mot que s’ouvre et se clôt le roman. Parce que le vrai personnage du livre, ce sont les bas-fonds de la ville, ces rues où aucun être sensé ne met les pieds s’il n’y cherche les extases négociées et les vapeurs toxiques.

Il y avait Bombay Maximum City de Suketu Mehta. Il y aura désormais Narcopolis. En quelques années, ces deux livres sont venus secouer les habitudes des lecteurs de littérature indienne. Et c’est bien par le roman noir que germe le renouveau. Si, ici ou là, on parle de Jeet Thayil comme d’un Bolaño indien, ce n’est pas qu’un argument publicitaire. Car il y a, comme chez l’écrivain chilien, quelque chose de fascinant et d’épouvantable dans la description sans emphase, sans effets, des destins sordides de ses protagonistes de fiction. Souteneurs, prostitué(e)s, transsexuels, trafiquants de drogue, toxicos, tout ce petit monde trop humain se croise, se mêle, s’étend en considérations sur le monde qui les entoure. Au cœur de ce microcosme, le personnage de Fossette, une hija à la beauté légendaire – « Homme-femme métaphysique » qui ne s’attache à personne et que tous les hommes désirent – règne telle une figure tutélaire. Le seul homme auprès de qui elle se sent bien est un vieux Chinois, presque un mythe, qui la possèdera par le pouvoir conjugué de l’opium – qui la soulage de ses terribles douleurs – et de ses histoires, bien davantage que par l’amour physique. Les récits du vieil opiomane nous entraînent dans la Chine populaire et retracent le parcours d’un père, écrivain officiel du régime, obsédé par un livre dont la publication causera sa perte et obligera son fils à fuir son pays. Narcopolis, c’est l’histoire des bas-quartiers de Bombay, de ses légendes urbaines, des aspirations de ses habitants ; c’est l’histoire d’un mythe qui s’autoféconde… et dont savent parfaitement se servir ceux qui veulent faire de l’argent avec. C’est aussi le regard d’un narrateur qui, après vingt ans d’exil aux États-Unis, voit que ses connaissances sont mortes et que son monde a changé de fond en comble à cause des ravages conjugués du lucre et du crack.

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