Essais

Agnès De Féo

Derrière le niqab

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Chronique de Juliet Romeo

Librairie La Madeleine (Lyon)

Si nous devions trouver un point commun entre nombre d'ouvrages de sciences humaines qui sortent cet automne, ce serait certainement la mise en avant des invisibles, ces personnes que nous ne voyons pas ou plus. Qu’elles ou ils aient été oubliés par le passé ou effacés de notre présent, certains livres cherchent à leur redonner une voix.

 

 

Que ce soit en interrogeant le passé, comme le fait Audrey Célestine en allant à la rencontre de certaines comme Agnès De Féo, ou en réfléchissant à une inclusion de toutes et tous dans notre démocratie comme Julia Cagé, nos invisibles sont à l’honneur et ça fait du bien. Il y a tout d’abord ce passé à regarder et Audrey Célestine le fait parfaitement avec son ouvrage Des vies de combat, Femmes, noires et libres. Cet ouvrage, c’est soixante portraits de femmes noires. Si certaines sont connues comme Joséphine Baker ou Maryse Condé, certaines sont restées dans l’ombre, comme Shirley Chisholm ou Darling Légitimus. Au travers de biographies courtes, nous découvrons la vie de femmes exceptionnelles, de celles qui n’ont pas voulu rester à leur place, de celles qui n’ont pas voulu être vues comme femmes ou comme noires, de celles qui ont changé l’Histoire. Mais il y a aussi le présent à réfléchir et c’est ce que fait Agnès De Féo dans Derrière le niqab. Il s’agit d’une enquête de dix ans, menée auprès des femmes qui ont porté et enlevé le niqab. Ce vêtement qui fait l’objet de tant de passions dans les médias s’avère, après avoir connu une relative expansion, une rareté en 2020. Ce court essai nous permet de rentrer au cœur de l’intimité des niqabées, de voir exposées les raisons de ce choix vestimentaire et de comprendre pourquoi il n’est qu’un épiphénomène, souvent utilisé par les divers extrêmes pour faire monter les tensions. Agnès De Féo réussit à dépassionner le débat et à offrir une profondeur de champ à nos réflexions sur la question. Mais il n’est pas suffisant de constater l’invisibilité de certaines et certains, il faut apporter des solutions également. C’est ce que propose Julia Cagé dans son essai Libres et égaux en voix. L’économiste fait le même constat que beaucoup : si notre démocratie ne prend pas en compte nos invisibles passés et présents, nous ne règlerons pas les crises politiques actuelles. Pour arriver à cette conclusion, l’auteure fait plusieurs propositions telles qu’une représentativité de toutes et tous, à travers une parité de genres mais aussi de classes sociales dans notre démocratie ; elle propose également une refonte de notre culture des médias où l’on aurait besoin de plus de représentativité, de même qu'au sein des partis politiques. Ces propositions dressent un panel de solutions envisageables pour réduire l’invisibilité de certaines classes de la population. Autant de livres comme de nouvelles pierres indispensables aux réflexions qui alimentent les débats actuels.

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