Bande dessinée

Timothé Le Boucher

47 cordes

illustration

Chronique de Alexandra Villon

Librairie La Madeleine (Lyon)

Après Ces jours qui disparaissent et Le Patient (Glénat), Timothé Le Boucher vient nous régaler d’un ambitieux projet de 400 pages, vaste et délicieuse première partie d’une histoire mêlant thriller fantastique et érotisme, où il donne corps au personnage d’une métamorphe, laissant libre cours à son obsession pour la multiplicité de l’être.

Ambroise vient d’arriver dans une nouvelle ville où vit sa sœur Zahidé, percussionniste dans un orchestre qu’il souhaite intégrer en tant que harpiste. Ambroise est extrêmement beau, mais fuyant et peu enclin à se laisser facilement séduire. C’est ce que va découvrir la Métamorphe, fascinant personnage capable de changer d’apparence à l’envi, l’ayant choisi comme proie pour jouer et satisfaire un curieux ballet du désir. La scène d’ouverture, plantée dans un décor paradisiaque, à la composition très cinématographique, est à ce titre une magnifique entrée en matière pour présenter cette créature qui n’aura de cesse d’éprouver sa désirabilité en changeant de visage, chacune de ses « apparitions » étant l’expression d’un désir fantasmé. Ce sera finalement sous les traits d’une plantureuse cantatrice, Francesca Forabosco, femme superbe de sensualité et de perfidie, que la Métamorphe parviendra à soumettre Ambroise en lui proposant un marché : il devra relever 47 défis pour obtenir les 47 cordes d’une harpe qu’elle lui offrira s’il réussit. Un marché prétexte à attirer le jeune homme dans ses rets, faisant d’elle sa mécène, sa professeure et bientôt son amante. Alors qu’Ambroise, aidé de ses amis, tente de débusquer au sein de l’orchestre un mystérieux « corbeau » qui envoie des lettres de menaces à sa sœur, la cantatrice va l’introduire au sein d’une société secrète où il fera l’expérience d’un monde à part, baigné dans une atmosphère chargée d’érotisme méphitique, où les personnages masqués se dérobent, se déforment, vampirisant leurs proies en les humiliant et les dominant, et arborant des griffes qui ne sont pas sans rappeler les mains acérées d’un certain Nosferatu. L’auteur s’offre, avec ce récit fantastique, un terrain de jeu graphique illimité pour explorer les notions de désir et d’apparences trompeuses, les différentes formes visibles que peut revêtir la multiplicité de l’être. Il donne corps à la nuance qui s’incarne sur les visages à travers d’imperceptibles traits : un rictus qui déforme un sourire, une lueur faisant l’aveu d’une faille, un pli de paupière rendant torve un regard. Timothé Le Boucher, en virtuose, joue une partition à la composition impeccable, qui propose à son lecteur un jeu de piste labyrinthique complètement addictif. La lecture est d’une fluidité remarquable, sans temps mort, servie par un dessin extrêmement gracieux, au trait fin et pur, qui donne véritablement chair à l’indécence des corps. C’est étourdissant et on en redemande.

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