Littérature française

Les coulisses de la fiction

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Par Alexandra Villon

Librairie La Madeleine (Lyon)

Tirée du podcast du même nom animé depuis 2020 par Richard Gaitet sur Arte Radio, la collection Bookmakers voit le jour cette année chez Points à travers la retranscription de deux premiers entretiens. Une manière réjouissante de découvrir ici les secrets d’écriture d’Alice Zeniter et Nicolas Mathieu.

Pour qui ne connaîtrait pas le podcast Bookmakers qui fait fureur sur Arte Radio depuis 2020 ‒ contempteurs de la bruyante chose radiophonique et autres adorateurs du silence ‒ voici une aubaine que ce partenariat d’Arte avec les éditions Points qui proposent une toute nouvelle collection de petits livres sympathiques, tirés du podcast, mais agrémentés de contenus inédits et de petits bonus amusants. Et de quoi s’agit-il ? D’entretiens avec des autrices et auteurs francophones de renom que Richard Gaitet interroge, suivant la chronologie de leurs publications. À commencer par Alice Zeniter et Nicolas Mathieu, tous deux grandes figures de la littérature francophone contemporaine, couronnés par des prix prestigieux. Mais qui sont-ils vraiment, cachés derrière leurs œuvres intimidantes et leur brillante ascension ? Quel a été leur cheminement jusqu’au succès, des balbutiements d’une vocation aux premiers élans de génie ? Comment, à travers eux – artisans de la fiction – déceler les rouages d’une bonne mécanique littéraire ? On s’amuse du franc-parler de Zeniter et de sa gouaille décomplexée, où les « putain de merde » côtoient délicieusement l’expression grave et altière des doutes les plus profonds, insistant sur l’importance du rythme de ses phrases comme sur celle de ses cigarettes roulées, avouant le caractère hautement bordélique de sa manière de travailler et de sa façon peu altruiste de se soustraire au monde pour y arriver, à la manière d’un ours mal léché. On s’étonne des tourments qu’éprouve Nicolas Mathieu, grand fainéant autoproclamé qui s’impose 1 000 mots par jour sous peine de se laisser submerger par une indécrottable glande et de son syndrome de l’imposteur qu’il ressent à toute heure. On en apprend des vertes et des pas mûres, on se rassure de voir ces « drôles d’animaux solitaires » multiplier les « trucs et astuces » pour libérer l’inspiration et l’écriture, elles qui s’apprivoisent si peu et qui jaillissent parfois si difficilement. Ces entretiens sont drôles, parfois intimes, sacrément bien fichus, vivants et absolument captivants. Richard Gaitet, truculent, sensible et audacieux, y est pour beaucoup, posant les questions pertinentes qui donnent envie d’aller plus loin et s’autorisant à poser celles qu’on tait, d’ordinaire, par convention ou simagrées. On rentre dans ces coulisses comme dans celles d’une fabuleuse fabrique à histoires, avec curiosité pour les ouvrages à lire et un plaisir décuplé par la redécouverte de ceux qu’on a aimés.