Beaux livres

Trésors et secrets d'écriture

✒ Éric-Michel Tosolini

(Librairie Alès, Alès)

Conçu comme une « conversation entre le matériel et l’immatériel », ce fier catalogue d’exposition reproduit, en les classant par thèmes, livres, lettres, cahiers, carnets ou manuscrits d’une rare beauté.

« Qui rapportera ces paroles ? » Ce sont les mots de l’écrivaine Charlotte Delbo dont on peut voir un feuillet de son livre reproduit en page 178 du catalogue (dans le chapitre « Le brouillon littéraire » qui est sans doute l’un des plus fous de cet ouvrage exceptionnel !). Avec ces mots, l’autrice nous dit la tragédie de la guerre et de la fureur concentrationnaire. Mais elle chante aussi « la force de la vie », « nous questionne et nous transmet la responsabilité de ne pas oublier ». « La responsabilité de transmettre et ne pas oublier » une idée, un savoir, une histoire, un chant, une simple et fugace émotion ou même un rêve, n’est-ce pas ce que dit ce livre et ce qu’il montre à chacune de ses pages, à travers les reproductions soignées de manuscrits de tous les genres littéraires ? Les manuscrits seraient alors des monuments de parchemin ou de papier au service de la pensée et de la langue. Mais en retour, l'ouvrage ne pose-t-il pas aussi la question de comment « transmettre et ne pas oublier », sans passer par l’épreuve de l’écriture, ce creuset où les paroles et la langue s’affinent sept fois selon le proverbe ? On peut du moins se demander si « les secrets d’écriture » ne s’élaborent pas dans un « laboratoire », comme celui reproduit en page 74 et tiré d’une sublime page des Cahiers de Simone Weil. Manuscrits publics ou privés, traités scientifiques et travaux de recherche (Grammaire égyptienne de Champollion), lettres intimes ou savantes (de Descartes au Père Mersenne), mémoires (le manuscrit de celles du duc de Saint-Simon ne montre presque pas de ratures), brouillons d’écrivains avec ou sans ratures (ceux de Flaubert sont connus mais restent spectaculaires à contempler), carnets de voyage et journaux parfois finement illustrés (celui de Catherine Pozzi est superbe), collages sur cartes postales et enveloppes (à la mode Prévert) : mille et une merveilles sont à découvrir dans ce livre et même un tapuscrit (le seul ?), corrigé de la main de Simone de Beauvoir. Rien de trop dans ce Trésors et secrets d’écriture qui offre autant d’occasion de méditer sur le vieil adage : verba volant et scripta manent. Mais si les écrits restent et résistent, à temps et à contre-temps, c’est d’abord pour rapporter des paroles vivantes.

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