Littérature étrangère

Lauren Groff

Matrix

✒ Ophélie Drezet

(Librairie La Maison jaune, Neuville-sur-Saône)

Lauren Groff avait conquis le cœur de ses lecteurs avec Les Furies (L’Olivier et Points). Elle revient avec un roman complètement différent mais tout aussi brillant : une biographie fictive de Marie de France.

Nous sommes en l’an 1158 et Marie de France, bâtarde du roi, est accueillie de mauvaise grâce à la cour par Aliénor d’Aquitaine. Elle va y vivre quelques années, jusqu’à devenir une ombre à la gloire d’Aliénor qui décide de lui offrir honorablement une abbaye. Désespérée d’être ainsi éloignée de la cour et de ses privilèges, Marie va d'abord sombrer dans une profonde mélancolie avant de découvrir le travail immense de l’abbesse pour protéger ses filles de la violence des villages alentour et du manque récurrent de nourriture. Elle ressent de moins en moins le manque de la cour mais se languit toujours de la présence d’Aliénor. Une vocation naît en elle et, dès lors, elle poursuivra sans relâche ses idéaux. Son assiduité lui vaut la reconnaissance mais aussi l’animosité de certaines de ses coreligionaires. L’abbaye devient quant à elle indépendante des ducs de la région, le travail des religieuses assurant son autonomie. Les sœurs nouent des liens forts et goûtent une sécurité qu'elles n'auraient peut-être pas connue à l'extérieur. Mais même éloignée de la famille royale, l'ombre d'Aliénor plane toujours dans le cœur de Marie. C'est à son intention qu'elle va écrire les Lais, premiers poèmes rédigés en langue vernaculaire. Elle cherchera pendant des années l'approbation de la puissante reine. Nous ne connaissons que peu de choses sur la vie de Marie de France, si ce n'est qu'elle est la première poétesse à ne pas écrire en latin. Lauren Groff réussit à construire autour de cette figure fascinante une biographie teintée de problématiques actuelles avec une grande force. Nous sommes face à un texte profondément vivant, intimiste et charnel, porté par une écriture enlevée et sensuelle qui affranchit les femmes de leur soumission à l’ordre divin.

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