Essais

« Le mot est faible »

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Par Ophélie Drezet

Librairie La Maison jaune (Neuville-sur-Saône)

Anamosa apporte une fois de plus un éclairage pertinent sur deux mots utilisés presque quotidiennement mais vidés de leur sens ou réinterprétés. « Mérite » et « émancipation » sont ainsi replacés dans un contexte historique et social plus large pour mieux comprendre leur acception.

Le mérite est une question de point de vue : Annabelle Allouch ouvre son livre avec deux exemples quotidiens illustrant cette notion particulièrement complexe, tout en insistant sur la manière dont a évolué la rhétorique méritocratique et comment elle est utilisée aujourd’hui. Les exemples historiques sont traités par le prisme de l'école, le sujet provoquant toujours d’houleux débats. Federico Tarragoni s'attache quant à lui à l’émancipation et retrace son évolution sémantique. Dans la Rome antique, le latin fait de ce terme une notion purement juridique. Au cours des grandes mutations sociales du XVIIIe siècle, l'émancipation se retrouve intimement liée au savoir. Au XIXe, le contexte socioculturel (avec ses révoltes ouvrières, ses revendications féministes, ses colonisations) associe l'émancipation à l'esclavage. Ces questionnements historiques permettent donc aux auteurs de montrer ce que sont devenus ces mots aujourd'hui et, surtout, combien leur utilisation n’est jamais anodine mais bien politique. Dans les faits, le mérite obéit désormais à la logique de compétition d'un système centré sur le travail. L’émancipation relève quant à elle de l'utopie dans des sociétés marquées par des atteintes de plus en plus flagrantes aux libertés fondamentales et aux droits de l'homme. Ces deux essais apportent donc un éclairage à la fois court et pertinent sur des mots que nous entendons souvent mais auxquels nous n'accordions pas nécessairement toute l’attention qu’ils méritaient. Ils permettent également de comprendre quand et comment le détournement de leur sens originel a eu lieu.