Essais

Paul Auster

Pays de sang

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Chronique de Ophélie Drezet

Librairie La Maison jaune (Neuville-sur-Saône)

Paul Auster, avec Pays de sang, nous propose un essai sur un sujet sensible dans son pays : les armes à feu. Les chiffres édifiants des morts et blessés dûs aux fusillades n’unissent pas les Américains autour de la lutte contre ce fléau, bien au contraire. Le pays subit une division radicale d’opinions.

Paul Auster tente de comprendre, à la fois à travers l’histoire de sa propre famille et celle des États-Unis, la relation particulière à la violence qu’ont les Américains et pourquoi la prégnance des armes à feu est aussi forte dans ce pays. Dans les premiers chapitres, Paul Auster dévoile un lourd secret de famille : il découvre, lorsqu’il est jeune homme, que sa grand-mère a tué son grand-père avec un fusil. Son père avait à peine 6 ans et son oncle, 9 ans, a assisté à la scène. Cette histoire individuelle et toutes celles qui ont lieu chaque jour soulèvent un point : les victimes ne sont pas seulement les morts. Les traumatismes de la perte et les scènes violentes quotidiennes blessent des millions de vivants, physiquement parfois, psychiquement souvent. En effet, les chiffres sont assez édifiants : à cause des fusillades, par jour, 100 américains sont tués et 200 sont blessés. Une tuerie de masse est perpétrée toutes les vingt-quatre heures. Mais pourquoi le sang et la violence continuent de régner en maître alors qu’un nombre aussi important de victimes devraient nécessiter une prise en charge gouvernementale sérieuse du problème ? Bien entendu, la politique et le pouvoir des lobbys ont une place importante dans la réflexion. En remontant l’Histoire particulière des États-Unis depuis leur colonisation, l’essai retrace le développement particulier de la mentalité américaine. Cette nation est la première à être fondée sur le capitalisme, donc la concurrence et de fait, le conflit permanent. De plus, le pays connaît une force républicaine puissante depuis longtemps qui a œuvré pour en arriver aux dégâts que l’on connaît. Mais Paul Auster va plus loin dans la réflexion et c’est précisément là que résident toute la force et l’émotion du texte : il tente de saisir ce qui se joue humainement dans le rapport aux armes des Américains. En racontant son expérience personnelle, l’auteur dépeint avec une grande puissance narrative le problème de tous les enfants américains qui grandissent dans des bains de sang quotidiens (auxquels ils ont assisté et dont ils ont entendu parler) et intègrent très rapidement la banalité de la mort par balle. Nous ne sommes pas là face à un essai classique ; en mêlant les genres et en y ajoutant de l’humain et de l’émotion, le texte devient une véritable claque littéraire accompagnée de photographies de Spencer Ostrander absolument bouleversantes qui représentent des lieux où se sont déroulées des fusillades, mais sans aucun être humain dessus. Des photos qui symbolisent mieux que les mots l’absence et l’abîme créés par la violence.