Bande dessinée

Albertine Sarrazin , Anne-Caroline Pandolfo

L’Astragale

illustration
photo libraire

Chronique de Catherine Florian

Librairie Violette and co (Paris)

Le roman L’Astragale, publié en 1965 par Jean-Jacques Pauvert, connut un succès phénoménal et son auteure devint célèbre du jour au lendemain. Il est réédité avec une préface en forme de déclaration d’amour de Patti Smith, qui s’est démenée pour le faire reparaître aux États-Unis.

La rock star américaine dit s’être identifiée à la jeune Albertine Sarrazin, en qui elle a reconnu une sœur. Fulgurance est le mot qui vient spontanément à l’esprit pour parler du destin brisé de la romancière, décédée à moins de 29 ans des suites d’une erreur médicale. Albertine l’orpheline, comme les bâtards Jean Genet et Violette Leduc, a façonné une œuvre littéraire singulière de la matière même de sa vie de marginale, de réprouvée de la société. Comme eux, elle a composé, à partir de sa prison – qu’elle soit physique dans le cas de Sarrazin et de Genet, ou mentale pour Leduc – un espace de créativité et de liberté. Ces trois créateurs ont transmuté l’enfermement, la frustration, le dénuement, les blessures corporelles et affectives en langage poétique afin de se réapproprier le monde et de renaître à eux-mêmes. L’Astragale s’ouvre sur une évasion avec cette magnifique première image en mouvement : « Le ciel s’était éloigné d’au moins dix mètres ». Anne, emprisonnée, 19 ans, fait le mur et se brise l’os de la cheville, l’astragale. Julien, le voyou, la recueille et lui procure subsides et planques successives afin de survivre à cette cavale, qui deviendra aussi initiation à l’amour. « Me rappeler en quels états et circonstances le hasard nous fit amants. Je n’oublie pas…traquée, cassée et sans autre havre que sa force douce… », écrit-elle dans Le Times, journal de prison 1959, réédité magnifiquement avec des dessins de cinq artistes par les éditions du Chemin de fer. La prison est également le cadre d’une nouvelle, « Bibiche », publiée par le même éditeur. L’Astragale est l’occasion d’évoquer la prison, où elle passera un tiers de sa courte vie, mais aussi ses amantes carcérales et la prostitution occasionnelle. C’est également une formidable et souvent très drôle galerie de personnages qui jaillie de la plume d’Albertine Sarrazin. Sa langue exigeante et inventive, où s’entrecroisent des imparfaits du subjonctif, des termes d’argot et des anglicismes, apparaît d’une incroyable modernité. Réalisme et naturalisme côtoient images poétiques et envolées métaphoriques au sein d’une écriture qui cherche en permanence à s’affranchir des contraintes et à extraire des pépites de l’ordure. Après une adaptation cinématographique en 1968, L’Astragale fait aujourd’hui l’objet d’une interprétation graphique très réussie. L’utilisation du noir et blanc retranscrit magnifiquement l’univers d’Albertine et le contexte de la fin des années 1950.