Littérature française

Éric Vuillard

Une sortie honorable

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Chronique de Joachim Floren

Librairie Le Matoulu (Melle)

Avec ce nouveau récit, Éric Vuillard regarde dans le rétroviseur pour s'intéresser cette fois à la fin de la guerre d'Indochine, analysant les faits à hauteur d'homme avec un regard acéré et féroce.

Tout commence par un contrôle de l'inspection du travail chez Michelin dans une plantation de caoutchouc, en raison d'une « épidémie » de suicides. On constate également des sévices corporels d'une cruauté sans nom infligés aux employés. Ce récit historique au souffle romanesque incroyable, teinté d'une ironie mordante, souligne le décalage entre les discours creux mais lourds de conséquences de parlementaires ventripotents et la réalité du terrain. Au sein de ce groupe de députés belliqueux, il y a bien eu Mendès France pour évoquer une sortie par la négociation mais cette solution fut vite écartée par une assemblée véhémente, indignée, refusant de capituler. Vuillard a cette capacité à synthétiser en un paragraphe la généalogie d'un personnage à l’origine d'une phrase bateau célèbre, vide de sens. Il met en lumière l'aberration coloniale, le ridicule des dirigeants et des financiers qui spéculent sur des vies humaines. L'humour laisse vite place à l'horreur d'une guerre très longue et sans pitié où l'on comprend très vite que l'enjeu de la France est d'en sortir de façon « honorable » en la vendant aux États-Unis : cette tentative est illustrée par le passage surréaliste de De Lattre de Tassigny à l’émission politique Meet the press sur NBC. Le général se retrouve ainsi embarqué dans une tournée destinée à promouvoir la guerre d'Indochine, en insistant sur les dangers du communisme, sans savoir aligner deux mots d'anglais. Les personnalités politiques et militaires se succèdent sans trouver de solutions ; les décisions prises ne font qu'un peu plus aggraver la situation. Seuls les banquiers et leurs actionnaires arrivent à sortir leur épingle du jeu. La note finale de ce récit rappelle que du côté français et américain, il y eut 400 000 morts contre 3 600 000 côté vietnamien, soit dix fois plus, pour une question « d'honneur ».