Littérature étrangère

Kapka Kassabova

Lisière

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Chronique de Joachim Floren

Librairie Le Matoulu (Melle)

Extraordinaire livre de non-fiction, Lisière fait appel à de nombreuses disciplines, de l’Histoire à la sociologie, sans oublier la poésie. Kapka Kassabova revient sur les terres de son enfance, lieu situé « là où la Bulgarie, la Grèce et la Turquie convergent et divergent ».

C’est avec une grande érudition et une grande rigueur que l’auteure nous plonge dans l’histoire d’une zone frappée de plein fouet par la guerre froide. Mais toujours à hauteur d’homme. C’est ce qui rend ce récit incroyablement poignant, troublant car elle nous fait ressentir l’émotion des hommes et femmes ayant vécu et subi la violence soviétique des années 1970 mais également celle des générations d’après. La terre y est la plus importante : quand trop de crimes, tortures et autres exécutions sommaires ont été commis, elle est comme hantée par ses morts. La forêt qui couvre une partie de ce territoire appelle au mystère, au surnaturel ; les rites anciens y sont toujours célébrés et nous assistons à des scènes quasi magiques. Cela créé une distanciation avec tout événement politique extérieur, le lieu se suffisant à lui-même, les frontières n’étant qu’imaginaires, symboles d’une violence absurde. Mais une fois encore, c’est un livre sur l’humain. Locaux, individus de passage, passeurs, immigrés… les rencontres sont très fortes à chaque fois, peu importe le point de vue. C’est un travail nécessaire que d’aller à la rencontre de ces gens qui vivent ou ont vécu à ce carrefour entre l’Asie et l’Europe, et qui ont pu constater l’évolution de leur monde en cinquante ans. Kapka Kassabova s’intéresse également à l’Histoire plus ancienne, notamment à l’Empire ottoman, à travers de nombreuses digressions historiques passionnantes. De mariages en fêtes alcoolisées, simples rencontres autour de mythes et légendes, de migrants, de passeurs, elle dresse le portrait intime d’une région en cette période marquée par de nombreux drames en Méditerranée. Nous sommes à la lisière d’un récit de voyage, d’une quête intime, d’une histoire politique, le tout écrit dans une langue somptueuse et poétique.