Essais

Maureen Marozeau

Un Van Gogh au poulailler

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photo libraire

Chronique de Bertrand Morizur

Librairie L'Arbre du Voyageur (Paris)

Quelle relation entretenons-nous avec les chefs-d’œuvre artistiques ? Un recueil d’articles de Maureen Marozeau et un essai inspiré de Charlotte Guichard nous livrent des clefs pour mieux appréhender l’histoire de notre rapport aux œuvres d’art, entre familiarité et distance, rejet et admiration.

L’histoire de l’art est pleine de rebondissements, comme on peut le découvrir grâce à Maureen Marozeau dans Un Van Gogh au poulailler et autres incroyables aventures de chefs-d’œuvre. La journaliste retrace le destin de douze œuvres d’art, devenues aujourd’hui les emblèmes des musées qui les abritent, qu’il s’agisse du buste de Néfertiti (au Neues Museum de Berlin) ou encore du tableau de Picasso, Guernica (au musée Reina Sofia de Madrid). Certaines histoires sont assez connues du grand public, comme le vol de la Joconde en 1911, qui permit au tableau de Léonard de Vinci, une fois retrouvé, de connaître une véritable consécration et de garantir au musée du Louvre une affluence considérable. Mais au-delà des histoires savoureuses que la journaliste dévoile avec un certain sens du suspense, ce recueil d’articles révèle la dimension sociale et politique occupée par les œuvres d’art les plus remarquables. Avant d’être protégés par des dispositifs de sécurité sophistiqués, les chefs-d’œuvre que nous connaissons aujourd’hui ont été, jusqu’à une époque assez récente, malmenés et bousculés. Qu’elles subissent des enjeux religieux et/ou politiques (l’histoire du polyptique de Van Eyck, L’Agneau mystique, est à ce titre exemplaire), ou tout simplement économiques (les déplacements d’un musée à l’autre à travers le monde entier), les œuvres d’art n’ont en effet pas toujours été entourées de l’attention précautionneuse que nous leur portons aujourd’hui. C’est ce dernier point que se propose de développer Charlotte Guichard dans un brillant essai intitulé Graffitis. Dans le cadre d’une résidence à la Villa Médicis, l’historienne a arpenté la ville de Rome, photographiant les inscriptions qui figurent à côté, voire sur les œuvres d’art elles-mêmes. Les graffitis en question font l’objet d’une étude passionnante, touchant aussi bien à l’histoire de l’art qu’à l’anthropologie des objets, afin de leur attribuer toute la place qu’ils méritent. Ils témoignent d’un contact, agressif dans le cas de soldats conquérants, révérencieux dans le cas d’artistes venus puiser l’inspiration auprès de grands prédécesseurs. Leur étude peut ainsi documenter sur la relation aux œuvres, l’expérience, individuelle ou collective. C’est l’histoire d’une intimité vécue avec une œuvre d’art, d’un sentiment d’appropriation. Chacun à sa manière, ces deux essais nous confirment que la patrimonialisation de l’art, le poids politique et économique des musées nous ont éloignés de ce que nous admirions. Quel paradoxe !