Essais

Peter Szendy

À coups de points

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photo libraire

Chronique de Bertrand Morizur

Librairie L'Arbre du Voyageur (Paris)

Le facétieux et très sérieux philosophe Peter Szendy s’intéresse à un nouveau champ d’investigation : la ponctuation. On étudiera en sa compagnie ses causes, ses usages, ses effets. Conclusion : Un point : c’est tout !

Si le titre de ce nouvel essai de Peter Szendy fait référence au sous-titre du Crépuscule des idoles de Nietzsche, il annonce également la fantaisie et l’esprit de digression qui animent l’auteur. Depuis Écoute, une histoire de nos oreilles (Minuit, 2001), le procédé de Szendy est identique : nous amener par les voies les plus variées et les plus inattendues, en mêlant culture populaire et philosophie de haute volée, à une réflexion approfondie sur le sujet envisagé. Féru de littérature, de cinéma et de musique, le philosophe construit des ponts audacieux et passionnants. Il se propose ici d’ouvrir le champ de la stigmatologie qui analyse « les effets ponctuants partout où ils apparaissent ». Dès lors, si les « coups de points » ne peuvent être évités comme dans le chapitre d’ouverture qui reconstitue une scène capitale du film de Martin Scorsese Raging Bull, la « ponctuation comme expérience » semble sans limite. Or, c’est un prisme fascinant que le point dans l’étude de l’œuvre humaine. Qu’il s’agisse d’une partition de Wagner, d’un film d’Orson Welles ou d’une narration, Peter Szendy met l’accent sur la surponctuation, sur ce besoin humain de renforcer la ponctuation naturelle, la pulsation hégélienne. Filons la métaphore sportive choisie d’entrée de jeu par Szendy, en disant de lui qu’il est l’arbitre du ring : cet esprit curieux sait observer la scène, compter les points et, au gré des vicissitudes du combat, retenir toute notre attention. C’est ainsi qu’après avoir voyagé à travers plusieurs siècles de création littéraire, de Tristram Shandy de Laurence Sterne au Procès de Kafka, après avoir utilisé le concept lacanien du « point de capiton », cet essai vivifiant consacre notre libre-arbitre ou tout du moins notre capacité à raisonner à coups de points plutôt qu’à coups de poings.